Retour de lecture sur "La physique des catastrophes, un premier roman très réussi de Marisha Pessl, écrit à 26 ans et publié aux États-Unis en 2006. Ce roman imposant, de huit cent pages est à la fois un roman d'apprentissage, un roman de campus et un thriller, il est superbement bien construit et comprend une multitude de références littéraires. L'histoire est relatée par Bleue, la narratrice, étudiante à Harvard, douée et particulièrement cultivée. Elle raconte sa dernière année de lycée, l'année de ses 16 ans, qu'elle a passée en Caroline du Nord suite à l'acceptation par son père d'un poste d'enseignant à l'université. Cette année devait être une année calme pour préparer son admission à Harvard. Bleue ayant perdu sa mère très tôt, à 5 ans, elle a été ballottée toute son enfance de ville en ville, par un père très charismatique, avec qui elle entretient une relation très fusionnelle, mais qui n'a jamais su se fixer quelque-part. Lors de cette année scolaire tout démarre plutôt bien, elle est acceptée dans le groupe le plus populaire du lycée et se lie d'amitié avec une professeur d'histoire du cinéma, Hannah Schneider, à la personnalité atypique, et qui est très bienveillante avec elle. Jusqu'au jour où tout bascule avec un suicide qui pourrait être un meurtre, on passe alors du roman de campus, au thriller, et tout ce qu'on nous a patiemment expliqué est remis en cause. La construction du roman est particulièrement bien travaillée même si l'histoire ne démarre vraiment qu'après le premier quart, ce qui est relativement long, vu la taille du roman. L'auteure prend tout son temps pour placer le décor, expliquer le contexte, mais ensuite, sans vraiment changer de rythme, l'intérêt et la tension montent très progressivement, pour finalement rendre cette lecture addictive. Le roman est, de prime abord, assez déroutant. On est un peu déstabilisé par des références continuelles à des livres, qui donnent, dans un premier temps, à cette lecture un côté très prétentieux. On finit néanmoins par s'y habituer, l'auteure semblant totalement assumer sa grande culture, pour finalement n'en retenir qu'un très bel hommage à la littérature, avec cette impression de toujours baigner au milieu d'une multitude de livres. Cette impression est accentuée par le fait que les 38 chapitres du livre ont tous pour titre un roman célèbre. L'écriture, tout en étant très belle et riche, montre une parfaite maîtrise de l'ironie et du cynisme, avec une critique très subtile de la société américaine et de son consumérisme. L'histoire est particulièrement bien construite, totalement délirante certes, mais elle tient globalement la route et nous avons là quelque chose de relativement crédible. C'est un très beau roman d'apprentissage, de passage à la vie d'adulte, avec cet aspect très perturbant qu'à travers un nouveau regard plus mature, nos proches, qu'on pensait connaître par cœur, ne sont peut être pas tels que nous les avons toujours vus. C'est au final un roman souvent jubilatoire, une très belle réussite pour Marisha Pessl qui semble démontrer, qu'à l'instar de son héroïne, elle est quelqu'un de particulièrement doué.
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"Mais le plus incroyable chez le poisson rouge, c’est sa mémoire. On le plaint de n’avoir qu’une mémoire de trois secondes, d’être à ce point dépendant du présent – or c’est, au contraire, un don. Car il est libre. Il ne souffre ni de ses faux pas, ni de ses erreurs, ni d’une enfance perturbée. Il n’a pas de démons intérieurs. Son placard ne contient pas le moindre squelette. Et je vous le demande, quoi de plus drôle que de découvrir le monde trente mille fois par jour ? Comme c’est bon d’ignorer qu’on n’a pas vécu son âge d’or il y a quarante ans, quand on avait encore tous ses cheveux, mais il y a seulement trois secondes, si bien que, en fait, cet âge d’or n’a pas de fin."