Qu’est-ce donc que cette œuvre au style et au récit si simples et si purs, mais qui pourtant nous engloutit dans sa profonde réflexion, selon le rythme si particulier des mouvements de la conscience de son personnage-auteur Guillaume ? Bien sûr le roman dépasse de loin le sceau de l’autofiction pour écrire une histoire universelle, mais la* forme *de la réflexion ne peut que s’appuyer sur ce qu’il vient de se passer, l’extermination et la collaboration qui ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale ainsi que la vengeance des vaincus qui contribue à l’horreur générale, afin de s’interroger sur le passé, la possibilité du jugement, le mal et le salut, dans un monde où l’humanité se trouve dans une si grande solitude.

La Plage de Scheveningen commence dans un Paris de l’automne 1944 où l’on rencontre les pensées du double de Paul Gadenne, Guillaume Arnoult, qui va venir rencontrer le chemin de deux êtres : Irène, son ancienne compagne qu’il n’a pas revu depuis des années et avec qui il va s’entretenir dans un long dialogue, et Hersent, le double de Robert Brasillach qui est jugé pour son action durant la guerre et qui apparaît être au cœur des conversations. A travers le chemin sinueux des pensées de Guillaume, le livre s’enfonce dans les profondeurs de l’âme humaine et donne à voir l’épaisseur de celle-ci.

«L'espace d'une nuit qui sert à mesurer toutes choses»

Le roman suit une trame dont la simplicité sert à illuminer le gouffre dans lequel vont s’entraîner les pensées de Guillaume et sa discussion avec Irène, au sein d’un espace où le passé se confond avec le présent, la réalité avec les rêves, les digressions métaphysiques avec la discussion intime. Ainsi le début du chapitre XIII décrit le souvenir d’une salle de classe où Guillaume finissait de rédiger un devoir sur table dans une précipitation sans pareil, avec en fond sonore les exclamations du professeur qui surveillait et alertait sur le temps restant. Ces exclamations prennent alors des allures métaphysiques via le commentaire qu’en fait la pensée de Guillaume à moitié délirante. C’est ce mélange des couches de souvenirs par une conscience bouillonnante de vivacité ou de sommeil qui donne sa forme au récit.

C’est en effet dans «l'espace d'une nuit qui sert à mesurer toutes choses», que vont se confronter Guillaume et Irène, avec en filigrane la présence de Hersent, personnages dont les portraits vont être dessinés tout au long du récit, avec ce crayon si particulier que constitue le mouvement de la pensée de Guillaume qui, nourrie par les souvenirs et réflexions successifs, vient commenter et réajuster la complexité des figures.

Si le style sait comment donner forme à ce stream of consciousness via une langue fluide et rythmée par une ponctuation qui rappelle tous les soubresauts dont est capable la pensée de Guillaume, son dialogue avec Irène, lui, censé venir fournir des explications à des fautes ressenties et des erreurs de compréhensions mutuelles source de leur séparation échoue, par le mutisme sur les choses essentielles. Quel contraste entre la pensée de Guillaume, qui s’analyse elle-même sans complaisance, histoire de mettre le « mystère en plein lumière » pour reprendre la formule de Barrès, et l’impossibilité des personnages à parler d’eux. C’est surtout Irène, qui semble échapper à toute confidence sur elle-même, glissant de toute saisie fixe du lecteur, et n’échangeant que le souvenir d’une angoisse sourde, celle de la mort (p. 116-120), en faisant l’éloge de l’oubli pour retrouver un certain bonheur dans la vie. Or cet oubli est impossible pour Guillaume, puisqu’au fond, « [il] n’y a qu’une peur qu’un chagrin… », et que la source du malheur de Guillaume vient de cette peur d’être mal jugé, qu’une erreur soit commise sur son être propre, que l’espace entre deux êtres puisse être le lieu d’une erreur de compréhension. Ce dialogue est-il encore salutaire ? Ne risque-t-il pas de terminer sur le chaos de notre intériorité comme dans un film de Ingmar Bergman ? Heureusement ce dialogue est préservé du pire par la tendresse que dégage Irène, par cette forme d’amour que laisse deviner certains mouvements des personnages, le fond fondamentalement chrétien du roman et aussi par cette image de la plage de Scheveningen, image rassurante pour Irène.

Certains passages sont en italique et peuvent être considérés comme un retour littéraire sur la situation présente, comme si Guillaume, écrivain lui aussi, se mettait à écrire un roman à propos de son propre vécu. Loin du topos du roman dans le roman, ces passages illustrent combien la littérature permet d’exprimer ou de rejoindre l’autre plus facilement que par le dialogue. Cela étant, il est naturel de se demander jusqu’à quel point ce livre a pu constitué un travail cathartique pour Gadenne.

« Il ne désirait de la puissance que celle de la conscience »

Il convient d’insister sur ce la monstruosité réflexive que ce livre déploie, que ce soit à travers les mouvements de la pensée de Guillaume, autant que dans le dialogue toujours réfléchi et incomplet entre Irène et Guillaume, dialogue qui oriente justement la pensée de ce dernier. Cette réflexion toujours renouvelée vient rafraîchir la manière dont certains sujets sont abordés. Le passage du chapitre XVI où Guillaume évoque le penchant qu’avait selon lui Hersent envers Mathilde sa secrétaire dans son travail d’avant-guerre et l’échec de la tentative d’approche de Hersent, montre combien Gadenne sait dépasser les lieux communs. En effet, Guillaume postule alors l’hypothèse que cet échec sentimental puisse avoir eu un rôle sur les choix politiques en faveur de la force de Hersent. Cette réflexion est alors immédiatement moquée par Irène qui juge cette interprétation bien trop clichée. Guillaume se justifie donc par la description de la situation psychologique dans laquelle aurait pu être Hersent lorsqu’il tenait la lettre qu’il avait écrite pour Mathilde et qu’il fut surpris par Guillaume. Puis Irène répond à cela par le pastiche de la manière de description bien trop journalistique de Guillaume, ce qui amuse les deux anciens compagnons et aboutit à une réflexion sur le fait même que l’exagération est une conséquence du pouvoir de l’écrivain. Ce qui n’aurait pu être qu’un simple souvenir dégradant pour Hersent est abordé de plusieurs manières selon les remarques et les registres utilisés par Irène et Guillaume, ce qui vient sans cesse changer la nature même du souvenir, et cela au sein d’une fluidité discursive impressionnante.

Cette monstruosité réflexive ne sert pas seulement au plaisir du lecteur mais joue également un rôle sur la possibilité d’un salut réel, qui refuse l’oubli pour au contraire assumer la douleur du passé et le mystère du rapport entre l’essence et l’existence. C’est bien ce souci, au sens où le décrit Pierre Boutang dans sa Politique considérée comme souci, que Guillaume va devoir trouver en lui-même en abandonnant son jugement à l’égard d’Irène et en comprenant qu’il va devoir fonder son passé pour mieux avancer. Comment la conscience peut-elle alors regarder son propre passé, lorsqu’elle n’y constate que fautes, échecs et solitude ? Le philosophe Jean Nabert dans Eléments pour une éthique explore la fécondité de la réflexion sur ces expériences négatives pour obtenir la régénération de son être. Voici comment commence son essai :

« Comme il y a deux manières de considérer les événements qui sont la matière de l’histoire, l’une qui vise un déterminisme d’explication, l’autre qui s’applique à ressaisir les décisions, l’énergie morale, les idéaux, dont ces événements sont l’expression, de même, à l’égard de son passé, ou bien le moi s’efforce vers un savoir de sa propre histoire et se délivre de tout intérêt pour lui-même, ou bien il cherche, non pas seulement à opérer une reprise de soi et à se comprendre grâce au texte que ses actions ont constitué, mais à faire coïncider cette compréhension avec une régénération de son être. »

Il semble que la deuxième manière de considérer les événements soit proche de la manière dont Gadenne comprend son écriture sans pardon vis-à-vis de lui-même, et dont Guillaume semble arriver à imiter les effets au fil du récit. En effet, c’est bien par le pouvoir et l’appréciation de la conscience que Guillaume va se rendre compte de l’importance que constitue l’émerveillement de certaines choses de la vie. Est-ce là la *réalité *que Guillaume doit arriver à saisir à la fin du récit ? Voir, c’est aussi savoir, c’est lever le voile, s’élever au-delà du simple voir. Voir, c’est alors se rappeler de ce qu’on a vu, c’est décrire, c’est parler. Évidemment le passage à la parole ne semble pas si immédiat chez Gadenne, qui semble méditer sur une impasse herméneutique, un conflit interrompu des interprétations à la manière de Ricoeur. Le livre médite donc sur le style et sur le rapport entre le langage et l’expression de la pensée ou de l’intériorité, par-delà les topoï et obstacles qui empoisonnent le langage et la puissance des mots (p.229-235). Comment dire « C’était parmi l’horreur d’une profonde nuit » sans tomber dans les codes du feuilleton ? Faut-il recourir à la simplicité, dont use le Livre, pour pouvoir toucher à travers les âges ? N’est-ce d’ailleurs pas ce qu’essaye de faire l’auteur dans ce roman (lui qui n’a pas peur de mettre le mot « plage » dans son titre) comme si la langue de notre conscience pouvait viser à une sorte d’universel ? Cela étant, il faut s’interroger sur la valeur même de cette dissertation (ne rate-t-on déjà pas l’essentiel ?) mais également sur le phénomène d’épuisement du mot et des conséquences qu’il implique…

«Trahir… Je me demande si ce mot a du sens. Est-ce que l’on ne se trahit pas soi-même tous les jours ? [...] Il n’y a qu’un châtiment, dit-elle, c’est de savoir qu’on a eu tort »

Si le destin d’Irène est lié à celui de Hersent dans le roman (Guillaume apprend au même moment la localisation d’Irène et le fait que Hersent se soit fait attrapé et le dernier moment dans lequel il voit Irène est le même que celui dans lequel il apprend l’exécution de Hersent), c’est bien parce que tous deux vont poser la question de la possibilité du jugement.

Hersent, c’est-à-dire Brasillach, est présent à la bouche de toutes les personnes que Guillaume croise et semble hanter la conscience commune, mais surtout celle de Guillaume qui a connu l’homme d’avant-guerre. C’est d’ailleurs bien un problème majeur : comment rattacher les souvenirs parfois tendre qu’il a pu avoir en compagnie d’Hersent avec ce qu’il est devenu ? Comment la conscience peut-elle comprendre l’unité d’un être alors même que le temps passe, et qu’il semble que l’on se trahit soi-même un peu plus chaque jour. Garder une sympathie pour le « Hersent d’avant-guerre », est-ce même possible ou souhaitable ? Après avoir revu une amie juive dont la mère a été déporté au cours de la guerre, Guillaume se pose la question : « S’il continuait à considérer Hersent comme son ami, Arnoult [ie. Guillaume] devenait l’ennemi d’Hélène. » Dilemme impossible à résoudre, et qui interroge également la « connaissance » que l’on avait de la personne. Le véritable crime est celui de la pensée. Qui est alors coupable, au-delà de Hersent ?

Ce n’est pas seulement la condamnation à mort d’Hersent qui ne réussit pas à convaincre Irène et Guillaume, mais la justice des hommes. Cette justice des vaincus qui veulent se venger, de « Caïn vainqueur de Caïn »(p. 205), qui croit qu’en condamnant Hersent, tout va pouvoir rentrer dans l’ordre, et que la culpabilité collective sera effacée. Mais si c’est pour donner une bonne conscience à « ces épiciers, ces charcutiers repus, qui avaient attendu la paix derrière des remparts de cervelas », alors non, il faut tout sauf cette justice. Si Guillaume « eût préféré mourir dans là peau d’un traître avéré plutôt que de vivre dans la peau de ces gens », est-ce parce qu’il lui est impossible de vivre dans un monde où les gens refusent de se sentir pécheur ? Ces gens ne valent-ils pas autant d’ailleurs que le Hersent qui mettait tous les problèmes de la société sur les juifs ? D’ailleurs la plupart ont été coupable d’indifférence, que ce soit avant la guerre ou même pendant celle-ci, et il n’aurait pas fallu de beaucoup bien souvent pour que ces personnes commettent des horreurs et se retrouvent « de l’autre côté de la barrière ». Car le véritable crime, n’est-ce pas la bonne conscience qui refuse le châtiment ? L’utilisation de la parabole biblique est à cet égard puissant : nous sommes tous des Caïns en puissance, à la fois Caïn et Abel, ce qui vient détruire toute possibilité de jugement humain.

Pour autant la question de l’origine du mal (car c’est bien elle que le roman finit par interroger), qui vient poser « la question du sens du mal, mais aussi, plus fondamentalement, celle de la possibilité qu’il soit une caractéristique indéracinable de l’humain. »(cf. L’Essai sur le Mal de Jean Nabert de Caroline Terrier), cette question là, parce qu’elle rend tous les hommes coupables et mélange l’accusé et l’accusateur dans le même homme rend la justice inapplicable, or il y a un bien besoin de cette justice immanente. Comment résoudre ce paradoxe ? S’agit-il seulement de bien mesurer ? Mais alors « comment faire pour peser des pensées, et décider si elles sont ou non criminelles ? »(p. 241). Guillaume, ne voulant pas outrepasser sa nature d’homme, répond alors prudemment :

« La justice considère l’homme dans l’abstrait. Elle ignore l’homme charnel. Le couperet est tout intellectuel : aigu, luisant, et froid, il a tous les attributs de la lucidité, – et, c’est horrible à dire, de l’esprit. » (p. 242)

La réponse de Gadenne est ainsi profondément humaine et chrétienne, laissant place dans l’ordre politique à la justice qui s’occupe de l’homme abstrait, et à l’ordre divin la justice qui s’occupe de l’homme charnel. Car que reste-t-il si Dieu n’est plus là à part une justice défaillante et hypocrite ou le culte de la force dont parle si bien Hersent ? C’est ce que cette magnifique discussion dans la forêt autour des morts de 1814 entre Guillaume et Hersent pendant l’avant-guerre permet de comprendre. Que peut-on alors répondre à Hersent si ce n’est que ce qui comprend la force, c’est la notion de limite, comme le mettait si bien en avant Simone Weil dans l’Enracinement contre les arguties de la démocratie libérale et bourgeoise ?

Il ne s’agit pas non plus d’oublier le dialogue impossible entre Guillaume et Irène, dont les silences cachent les blessures du jugement. Des fautes qu’il décèle chez elle (Irène aurait mal jugé Guillaume), il arrive vite aux siennes (le report de l’annonce des fiançailles à « demain ») et au fur et à mesure que les erreurs s’accumulent et que le temps passe, il ne sait plus juger qui est responsable entre lui et elle. La faute d’Irène est également la sienne : qui blâmer à part soi ? Car la faute, au-delà du caractère fini de l’obligation ou de l’action qui en est la cause, contraste par l’espèce de condamnation globale de notre être qui est solidaire du sentiment de la faute. Lorsque l’on essaie de se confronter au problème et non de l’effacer (ce que symbolise le réveil d’Irène par Guillaume pour lui rendre « le droit de penser contre lui, d’être elle-même »), il faut sans doute avoir à l’esprit quelque chose qui puisse donner un horizon aussi bien que quelque chose qui puisse donner du sens au passé : savoir « où est la vie, et ce qui vaut la peine d’être vécu ».

« Il lui semblait même que cette plage devenait la seule réalité de sa vie »

Quel est donc le secret que Guillaume va trouver « dans Irène » ? Si Irène (« quel beau nom ! ») signifie « paix » (Εἰρήνη), il convient surtout de remarquer que Guillaume ne va jamais pouvoir saisir Irène, car c’est « dans sa fuite même, [qu’] Irène lui donnait cette réalité à saisir. » Si nous avons déjà évoqué l’importance et le pouvoir de cette conscience qui arrive à voir pleinement la beauté du monde en ce qu’elle a d’éphémère, il s’agit aussi d’une acceptation de ce qu’est que « la vie », c’est-à-dire de la proximité de la mort et peut-être aussi d’un retour à une certaine banalité, à la possibilité d’un quotidien d’après-guerre. Mais il peut également s’agir d’un nouveau rapport au temps, qui apprend du passé, et ne repousse pas toujours à « demain », comme Guillaume a pu le faire avec l’annonce des fiançailles.

Sans doute faut-il insister sur la nature des paysages et plus particulièrement des plages dans le récit, car c’est bien lors de la vision de cette dernière plage et de Laura que Guillaume comprend qu’il est au bon endroit. Là encore la description des lieux par l’auteur souligne bien la réalité des épiphanies, qui sont vécues et qui vont venir s’entasser dans nos souvenirs. Car ce qui demeure, c’est bien l’éclat et le rayonnement des choses, et donc il suffit à travers chaque plage de retrouver ces éternelles épiphanies éphémères, celles là même qui sont représentées dans le tableau de Ruysdaël.

« Les années, les siècles passent, le même rayon de soleil transperce éternellement les nues, la plage répond au même assaut des vagues, les mêmes petits personnages sont toujours là, noyés dans l’immensité, le poudroiement du sable, et personne ne se demande leur nom. » (p. 172)

Pour autant l’image de cette plage de Scheveningen – image qui devient réel par la présence des « éblouissements » vécues sur chaque plage – change au cours du récit, car elle est alimentée par tous les souvenirs que Guillaume possède ; cette plage aux multiples résonances est donc décrite comme « minée » après leur séparation au chapitre XXIII, et sans doute renaît-elle à la fin du récit. Cette image est en effet l’objet d’une croyance, et c’est d’ailleurs ce que reproche Irène à Guillaume lors de leur dernière entrevue (« elle était triste parce qu’elle voyait bien qu’il ne " croyait plus à la Plage de Scheveningen " », p. 305). Il est évidemment assez difficile de circonscrire la signification de cette image.

Une hypothèse possible est d’avoir une vison large et généreuse de cette image, qui après tout constitue le titre de l’œuvre. Croire en la Plage de Scheveningen, c’est alors croire qu’il y a quelque chose qui dans ce monde, dans la nature (et donc dans la contemplation de la plage ici), n’est pas complice du tragique du monde, des horreurs et des fautes de chacun, qui ne ment pas, faisant donc qu’il y a un espoir à chercher. Peut-être est-ce une sorte d’ordre (divin ?) qui permet à l’homme de se retrouver, de trouver une mesure, et de se sauver : il faut que nos actions puissent nous perdre ou nous sauver. Mais lorsque cette nature a été témoin des pires atrocités de la guerre, comment ne pas la trouver « complice » ? C’est George Steiner qui évoque la possibilité qu’après la Shoah, l’homme puisse refuser Dieu tant son malheur a écrasé toute espérance qui lui paraît alors trop naïve ou orgueilleuse. Cela étant, il se poserait la question de la foi, celle qu’a perdu Irène et que serait en train de perdre Guillaume à cause de l’« esprit tragique ». Pour autant, cette hypothèse n’est pas sans problème, puisqu’elle confond volontairement la croyance métaphysique en un ordre moral ou bien encore la vertu de l’espérance avec l’image de la plage comme la somme des souvenirs et des significations personnelles et privés de Guillaume et d’Irène, afin de donner à cette image un aspect plus universel. Par ailleurs, cette hypothèse n’explique pas comment Guillaume reproche à Irène d’avoir perdu l’espoir (p. 270) alors que lui-même avoue ne plus croire en cette image quelques chapitres plus loin ? Faut-il alors expliquer cela par le renversement sans fin des pensées et des positions tenues par les personnages tout au long de leurs discussions, jusqu’à ce que Guillaume réussisse à se stabiliser ou bien reconnaître qu’il s’agit là de deux sujets assez différents ?

Cette plage représente au moins le souci de Guillaume, souci qui ne dépend pas de lui car il le constitue, mais dont la formulation dépend bien de la manière dont Guillaume a vécu et des questions qu’il pose à l’avenir. Nulle aventure ne peut lui faire oublier qui il est, et il apprend de nouveau à affronter l’existant, dans un mouvement double qui sauve et qui damne.

Bref, il faut lire ce grand roman, qui pose les grandes questions de son siècle, et qui vous permettra peut-être de retrouver la plage qui vous constitue et dont parfois on oublie l’existence.

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le 11 août 2022

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