Ça aurait pu être une alterversion du mythe du Golem, douze visions fugitives d'une géante portant le poids de l'oubli, des souvenirs, de la poésie, de la vérité et de la mort.
Avec cela, on l'aurait mis à côté de « Herbes et Golem » de la mystérieuse et inventée Manuela Draeger, dans lequel la « Shaggå du golem presque éternel » recompose de façon brute, féministe, post-exotique, le rapport au mot et à l'image du monstre de Prague. On aurait commencé une anthologie monstrueusement renversée.

Mais non, ici on imagine l'idée dans la brume, malaisément, parce qu'on le souhaite, mais l'idée n'affleure en aucun endroit. Est-ce un évitement ? Peut-on ne pas y penser quand on nous parle d'une entité géante, un peu monstrueuse, sans visage, claudicante, toujours qu'entraperçue, réelle et invisible, sensible et fugitive, surgissant au hasard des rues et symbolisant aussi tantôt la ville même de Prague ?

Ce déni de figure m'a intéressé tout au long de ces courts récits poétiques, allégoriques, où à chaque apparition se dessine un des visages de la tristesse praguoise, celui des enfants morts, celui des poètes, de la pauvreté, celui du deuil du père, évocations qui résonnent des exergues extraites de la littérature nationale. Ainsi la Géante sera en douceur, sans opposition à la vieille Kabbale, sans voix mais recueillant les voix qui se sont tues, sans visage, mais recueillant en elle tous les visages oubliés, toute la vulnérabilité des êtres. Cela est émouvant et la langue de Sylvie Germain coule avec bonheur et se love dans le mouvement mélancolique des apparitions.

Pourtant le pathos, le liquide, le cliché mystérieux et brumeux de Prague, et puis surtout l'épilogue chrétien mystique (quelle belle façon de gâcher un texte, un épilogue) m'a gêné et empêché d'être vraiment séduit par ce texte qui bascule alors de l'admiration à la défiance : alors les effets de voilement, de gaze qui entoure la géante deviennent ridicules, image touristique, fade à en pleurer, et les apparitions se dissolvent dans la tristesse générale (voilà un bon titre « Tristesse Générale », à placer à côté du très beau « Général Solitude » d'Eric Faye, là encore j'aime bien les appariements improbables).
Raphmaj
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le 3 juin 2014

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