Juste
Bon finalement il y aura quand même deux ou trois trucs intéressants dans cette sélection du Goncourt et pas forcément ceux que j'attendais. La plus secrète mémoire des hommes est un bouquin assez...
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le 9 oct. 2021
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La Plus Secrète Mémoire des hommes est un roman à plusieurs voix publié par Mohamed Mbougar Sarr en 2021. Dans une structure empruntée à la poétique de Bolaño, d'ailleurs abondamment cité en exergue, nous suivrons l'histoire de Diégane, un jeune écrivain Sénégalais installé à Paris, qui se lance dans une quête initiatique pour retrouver la trace de T.C. Elimane, le mystérieux auteur d'un énigmatique livre à l'odeur de souffre fascinant les rares lecteurs ayant eu l'occasion de mettre la main dessus.
Cette structure très artificielle et construite tournant autour d'un objectif constamment repoussé et redéfini par les différents témoins qui l'approchent est aussi commune qu'efficace. Elle permet de faire du roman une œuvre mosaïque, voire une œuvre chorale tant la fonction narrative y est diffractée, dont le sens sera toujours plus ou moins d'interroger les rapports entre la littérature et le monde : doit-elle ou peut-elle le corriger, le magnifier, en rendre témoignage, le combattre, le modifier etc, et les conditions d'émergence de celle-là.
C'est là qu'à mon niveau le projet atteint des limites assez gênantes. L'auteur agite un système romanesque complet, travaillé, et constamment ambitieux, qui réussira relativement bien à être le creuset d'inspirations esthétiques très différentes : on est à la fois dans le réalisme magique sud-am', dans l'ontologie conteuse qu'on retrouve dans la fiction noire des années 40, dans le roman initiatique parisien presque dix-neuvièmisant, dans l'épistolaire, mais la synthèse – ou plus souvent malheureusement la juxtaposition – de tout ça ne nous mènera nulle part ailleurs qu'à un questionnement terriblement daté et poussiéreux : comment m'accomodé-je du fait que je trouve la littérature autotélique.
C'est d'autant plus regrettable qu'un des éléments de construction fort du livre réside dans la confrontation entre le narrateur, plutôt effacé sur la globalité du projet mine de rien, et toute une galerie de personnages incarnant l'écrivain en proie réelle avec le monde (et les nombreuses visions d'Elimane, bien sûr contradictoires, ne sont pas en reste à cet égard). Ils ont en soi beaucoup plus de consistance et de chair, un discours plus audible et plus intéressant, que ce que le pauvre Diégane, qu'on n'espère pas trop autobiographique, a à proposer, mais c'est lui qui à la fin impose sa vision, ou plutôt son doute, dans l'habituel constat d'impuissance et de stérilité que l'on se tape invariablement à la fin des projets se saisissant de cet angle.
J'ai l'impression qu'il faut savoir aimer des pans du livre au dépend de ce que leur auteur a voulu leur faire signifier dans son plan d'ensemble. J'ai l'impression que Mohamed Mbougar Sarr est dépositaire d'un héritage vaste nettement plus pertinent que ce que lui parviendra jamais à en faire. J'ai l'impression d'avoir perdu mon temps à lire un homme se lamentant d'une errance qu'il admet lui-même être le dénominateur commun de tous les littérateurs depuis qu'on a isolé l'écrivain en une figure à part. J'ai l'impression finalement d'une forme de malhonnêteté rhétorique assez profonde lorsque l'auteur intègre ces critiques à son livre pour les rejeter sans réussir à les balayer (c'est bien beau de moquer les critiques qui ont besoin de lire Elimane comme un « Rimbaud nègre » mais quand on n'arrive pas à glisser hors de son costard mal taillé de sous-Bolaño Sénégalais ça la fout mal).
Pire que tout finalement, j'ai la sensation que La Plus Secrète Mémoire des hommes est un Goncourt ordinaire et cohérent. Ce n'est pas parce que c'est infiniment mieux écrit et mieux composé qu'une merde de chez Stock qu'on doit oublier que les deux partagent la même philosophie : la littérature existe hors du monde par et pour elle.
On a crevé de cette idée et on ne va pas s'en relever.
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le 6 déc. 2021
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