J'avais (évidemment) déjà lu - et adoré - la très belle adaptation de ce polar ultra-célèbre de Manchette par Tardi, et avais du coup fait l'impasse sur la lecture du roman lui-même. Quelle erreur ! Le style extraordinaire de Manchette transcende la force de son histoire aussi évidente (l'éternel malédiction du truand qui veut "se retirer" et à qui on ne laissera pas cette chance) que finalement beaucoup plus retorse qu'il n'y paraît de prime abord (un abime de manipulations "à la Le Carré" s'ouvre dans les derniers chapitres). Car ce sont les mots, simples, directs, clairs, et les phrases de Manchette, dures, succinctes, efficaces, de Manchette qui rendent la description du parcours sanglant de Martin Terrier aussi accablant, aussi vertigineux, aussi terrifiant même. Le tueur est observé par Manchette sans aucune empathie, comme un insecte dont le comportement est digne de curiosité certes, mais ne justifie pas d'investissement émotionnel. Rien de ce qu'il pense (mais pense-t-il même quelque chose ?) ne transparaît, il est une machine de mort bornée, aussi terrifiante dans son efficacité professionnelle que ridicule dans ses relations amoureuses, en particulier avec la "femme de sa vie", qui apparaît ici comme une redoutable garce aux motivations tout aussi opaques. Enchaînement implacable et asphyxiant de scènes d'action, "La Position du Tireur Couché" débouche pourtant - et contre toute attente - sur une conclusion terriblement humaine : dans les toutes dernières, Manchette change brutalement de style, et laisse une sorte de micro-lyrisme désespéré envahir le livre, alors que son triste "héros" a effectué toutes les étapes de sa descente aux enfers, et que la boucle est bouclée de manière particulièrement cruelle. "Personne ne sort d'ici vivant"... Ou alors si peu...