Heim Hochland en Bavière est la première des pouponnières mises en place par le régime nazi. Ces maternités avaient pour vocation d’accueillir des femmes définies comme étant de « race pure » pour donner naissance à des enfants en tout point conformes aux critères aryens. Mais bientôt, ces lebensborns vont aussi héberger des enfants enlevés à leurs parents en Pologne, en Norvège, en Tchécoslovaquie. Caroline de Mulder a choisi de donner pour cadre à son récit ce lebensborn en particulier. Premier ouvert et dernier fermé, où Himmler faisait des visites régulières. Elle y place trois personnages. Renée, jeune française enceinte d’un soldat allemand pour qui le Heim Hochland est devenu le seul lieu où trouver refuge. Helga, infirmière dévouée dont les certitudes vont peu à peu vaciller au cours de cette année 1944 où tout se délite autour d’elle. Et Marek, prisonnier politique déporté qui construit, avec d’autres prisonniers, les baraquements qui complètent la maternité.
A travers ces trois destins qui vont se croiser et se mêler, Caroline de Mulder raconte ce projet fou de créer une race supérieure, dépouillée de tout ce qui peut être considéré comme une imperfection. Le cours des vies de Renée, Helga et Marek vont se trouver totalement changée durant cette période qui marque les débuts de la défaite allemande.
Bien que française, Renée a été acceptée dans le lebensborn car elle possède les caractéristiques demandées par les nazis : un panel de critères, régit par une échelle de notation extrêmement précise. La toute jeune fille d’à peine vingt ans, tondue par ses compatriotes, plongée dans une profonde solitude, trouve ici une sorte de havre, où elle est bien nourrie, bien logée. Et même si elle ne parle pas allemand et que les autres femmes ne lui font pas très bon accueil, elle trouve là un abri où faire halte et être prise en charge.
De son côté, Helga est intimement persuadée du bien fondé de ce programme et de l’aide qu’elle apporte aux mères et aux enfants. Toutefois, au fur et à mesure du repli des autres lebensborn vers Hochland, ses yeux s’ouvrent progressivement. Jusqu’à la découverte de certains dossiers que les SS s’emploient à faire disparaitre par le feu. Ses doutes et ses questionnements sont traduits dans les pages de son journal intime. Son humanité transparaît aussi par la compassion dont elle fait preuve envers Frau Geertrui, mère d’un petit Jürgen qui sera euthanasié sans état d’âme car non conforme aux critères de pureté de la race.
Quant à Marek, Caroline de Mulder en transcrit les souffrances avec une grande acuité. Souffrances physiques dues à la faim, à la maltraitance mais aussi douleurs morales quand il replonge dans ses souvenirs. Marek est le personnage par qui la violence entre dans ce récit et le contrepoint à l’espèce de quiétude qui règne dans le lebensborn complètement coupé du monde et de la guerre.
Au fur et à mesure que les Américains avancent, libérant les pays traversés et s’approchant du lebensborn, les choses vont basculer pour ces trois personnages. Au bout de cette longue et terrible succession d’événements, certains trouveront un nouveau sens à leur vie quand d’autres la remettront en question.
Caroline de Mulder nous plonge ici dans un abîme à la fois fascinant et terrifiant mais absolument pas manichéen. Elle ne livre aucun jugement, laissant le lecteur se faire son avis sur les personnages et sur leurs choix, donnant à chacun cette part d’humanité qui fait que l’on peut basculer vers le bien ou vers le mal.
Si elle concentre son récit sur trois personnages et un moment particulier de la vie de ce lebensborn, on ne peut évidemment lire ce récit sans penser à tous ces enfants devenus orphelins, sans histoire, sans identité et qui ont dû se construire sans fondations solides à leur sortie de ces lieux.