Sérieux scientifique : toujours en grasse mat'.

Une preuve est un énoncé qui, dès qu’il est compris, remporte l’adhésion. La preuve du paradis ne contient pas le moindre début d’une preuve de l’existence d’un au-delà mais expose des arguments. Et quels arguments ! Des arguments d’autorité, à base de citations d’Einstein hors contexte et de l'impressionnant CV de l'auteur martelé comme cela suffisait à être convaincant. Des fausses dichotomies qui créent une opposition constante entre ce qui est beau et ce qui est scientifique. Des procès d’intention à l’encontre des matérialistes qui seraient dogmatiques contrairement à l'auteur qui a pris conscience de l’immense complexité du réel. En résulte un formidable mille-feuille argumentatif irréfutable puisque le Dr Eben Alexander associe systématiquement les critiques à de la fermeture d’esprit.


Le récit donne l’impression que l’auteur s’est auto-convaincu que ce rêve ne pouvait qu’être réel parce qu’il lui a semblé être très palpable. A mon avis, cette conviction a été renforcée par l’image qu’il a de lui-même, celle d’une personne trop cartésienne pour croire à des choses fausses. Tout au long du livre, j’ai aperçu ce raisonnement circulaire : puisque j’ai un esprit rationnel et que j’ai cru à ce monde spirituel, cette croyance est rationnelle. Sauf qu’un bon cartésien sait surtout être lucide à propos de sa propre subjectivité qui inclut forcément des biais, auxquels tout le monde est soumis, sans exception.


La séquence intéressante du livre commence à la page 198 et se termine à la page 207, c’est le seul chapitre qui cherche à réfuter les hypothèses alternatives à celle du docteur concernant son expérience. Et ces hypothèses, il les balaye d’un revers de la main. Bien sûr ; que peut-on faire d’autre en 9 pages ? Le Dr Alexander explique que la “partie humaine” de son cerveau s’était complètement éteinte d’un coup et rallumée 7 jours plus tard comme si quelqu’un avait actionné un interrupteur. Je ne crois pas à cela. Rien n’exclut l’hypothèse de visions ayant eu lieu à son entrée dans le coma à un moment où son état se dégradait progressivement, ou juste avant qu’il ouvre les yeux quand son cerveau se rétablissait, peut-être même les deux. Ces questions ne sont pourtant qu'à peine effleurées. L’examen des hypothèses prosaïques était pourtant censé être le cœur même d’un ouvrage rédigé par un neurochirurgien. Tant pis.


Alors quel est le cœur de cet ouvrage ? Premièrement, c’est un récit personnel raconté avec beaucoup de justesse, notamment dans la partie “sur terre” où il relate avec beaucoup de précision cette semaine cauchemardesque vécue par la famille à son chevet et les efforts des médecins pour tenter de le guérir. Les séquences rêvées sont logiquement beaucoup plus diffuses, émaillées de nombreuses analogies et autres formules profondes et paradoxales sur Dieu et l’amour et les anges. Deuxièmement, Eben Alexander multiplie les anecdotes bien choisies pour monter en épingle des coïncidences et tenter de faire croire que rien n’arrive par hasard ; la pluie et le beau temps, les hallucinations, les réflexes du corps humain, etc. Enfin, c’est un traité politique qui postule que les guerres, les homicides et le dérèglement climatique sont dus au matérialisme scientifique qui aurait éloigné l’humanité des préoccupations liées à la conscience. Malheureusement, ces passages soulignent une vision très manichéenne des actions humaines, très éloignée de ce qu'on en sait.

Je voudrais conclure cette critique par une incise concernant les implications éthiques que soulèvent ces croyances. Je n’ai aucun doute sur l’idée selon laquelle la rationalisation d’une chose aussi implacable que la mort peut permettre de mieux vivre certaines situations difficiles liées au deuil, à la maladie ou tout simplement au passage du temps. Avoir des croyances concernant l’existence d’un au-delà permet à coup sûr d’apaiser certaines craintes. Cependant, je ne peux pas m’empêcher de penser que présenter ce plan spirituel comme étant un fait incontestable est un brin irresponsable. Certaines personnes sont en grande fragilité psychologique et/ou émotionnelle, peuvent traverser des périodes noires et avoir des idées suicidaires. Imaginons l’effet que peuvent avoir sur elles des discours comme celui du Dr Alexander qui présente la fin de la vie comme une libération, une ouverture vers une autre dimension, belle et spirituelle, dans laquelle chacun se sent enfin aimé. Si c'est vrai c'est merveilleux ! Mais soyons honnêtes, avec ce niveau de preuve, peut-on en toute conscience prendre le risque de les laisser prendre le risque ?


[Pour plus de précision, je vous mets à disposition toutes mes notes de lecture. Les points les plus essentiels son encadrés.]

OttoBDM
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le 11 oct. 2024

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