Je suis un admirateur de Romain Gary, de son œuvre, et maintenant de sa vie. J’adore son langage, son humour discret et élégant ainsi que la force de son lyrisme. Il y a quelques années, La Vie devant soi fut une découverte très agréable qui me fit connaître cet auteur parfois sous-estimé et pas assez étudié dans les classes - alors qu’encore une fois, il écrit merveilleusement bien.


La Promesse de l’Aube est un récit dans lequel il livre sans détour et avec honnêteté son parcours - d’un enfant pauvre mais ambitieux à un écrivain profondément engagé au Gaullisme. Ainsi, nous le suivons dès son enfance au sein de la pauvreté flagrante dans les rues de Wilno en Pologne jusqu’à son engagement du côté de la France Libre pendant la Seconde Guerre Mondiale, en passant par son adolescence à la découverte de la Provence, ses débuts de nouvelliste à Paris et ses premiers amours en Europe et en Afrique.


Mais comment cet homme, à première vue conflictuel et véhément, avec un regard si dur malgré ses yeux bleus, a-t-il bien pu devenir et mériter sa place dans le Panthéon de la Littérature Française ? Dès les premières lignes de l’autobiographie, nous connaissons la réponse: sa mère. En effet, dans cette lettre ouverte à toutes les mères en hommage à leur courage quotidien, le rôle maternel dans l’éducation est primordial pour tout à chacun qui aura une vie raisonnée et peut-être meilleure que celle qui les a éduquée. La personne qu’est la mère de Gary est touchante de par plusieurs facteurs: son échec en tant que comédienne dans le théâtre, son admiration respectueuse et quelquefois trop naïve de la France, ses précautions salvatrices pour le bien de son fils… Mais ces éléments auxquels s’est accrochée cette dame ont fait la personnalité intellectuelle française qu’est devenue Romain Gary. Leur relation, au-delà de passionnelle, est fusionnelle comme reliée par « un cordon ombilical jamais coupé ». Par exemple, même à bord d’un bateau sous tension en direction de l’Afrique, il parvient à garder sa raison en discutant intérieurement avec sa mère - ou en se faisant remonter par l’image de celle-ci profondément ancrée dans son esprit. Ainsi, après avoir donné à son fils la vie, Madame Kacew a réussi à sauver sa vie à maintes reprises pendant la guerre, grâce à sa combativité légendaire et héréditaire alors que l’auteur perdit non sans tristesse de nombreux camarades aviateurs. De même, la mère a contribué à la fois à l’imaginaire et à la tolérance du jeune Roman en évoquant par exemple des dieux malfaisants tels que Filoche, celui de la bêtise, dans un souci de « rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et de leur amour ». Ceci était la promesse, avec une vie réussie, tenue par Romain Gary, tandis que le but que s’est donné Madame Kacew était de garder son fils bien aimé dans le droit chemin et de l’aider à accomplir pleinement sa promesse existentielle.


Pour revenir à ce livre si touchant, le langage est fluide et le récit est pourvu d’histoires alléchantes et d’anecdotes étonnantes. L’énergie maternelle finit par nous emporter et nous permettre de tourner la page en suivant les aventures passionnantes d’un grand enfant, effrayé par la vieillesse et par l’engagement matrimonial, qui est miraculeusement protégé tout au long de sa vie par son ange gardien, sa mère.



Je revenais du lycée et m'attablais devant le plat. Ma mère, debout, me regardait manger avec cet air apaisé des chiennes qui allaitent leurs petits.
Elle refusait d'y toucher elle-même et m'assurait qu'elle n'aimait que les légumes et que la viande et les graisses lui étaient strictement défendues.
Un jour, quittant la table, j'allai à la cuisine boire un verre d'eau.
Ma mère était assise sur un tabouret; elle tenait sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait été cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux avec des morceaux de pain qu'elle mangeait ensuite avidement et, malgré son geste rapide pour dissimuler la poêle sous la serviette, je sus soudain, dans un éclair, toute la vérité sur les motifs réels de son régime végétarien.


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le 13 juil. 2015

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Ikarovic

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