Apprendre et enseigner la République
Je n'ai que très peu de connaissances sur les institutions et constitutions des Ière et IIème Républiques. Très éphémères, elles n'ont pas (à tort ?) marqué les représentations politiques futures (pour nous contredire, la Constitution de la IVème République est capitale pour comprendre celle de la Vème). Aussi, il ne me paraît que peu risqué (mais potentiellement exagéré) de dire que la conviction, l'attachement républicains se sont développés essentiellement à partir de la mise en place de la IIIème, et ce, grâce au désir de démocratisation et d'alphabétisation relaté par ses plus fervents détracteurs, Ferry et Paul Bert en premiers.
Le travail (impressionnant) de Jacques et Mona Ozouf en devient un témoignage indispensable : 4 000 instituteurs avant 1914 ont été contactés dans les années 1960 pour répondre à un questionnaire très divers, allant de leur vie maritale à leurs opinions politiques, engagements ou autres attachements religieux. L'essai que ces historiens nous proposent révèle ainsi des hommes et femmes enseignants profondément liés à l'idée républicaine, au "moment républicain" de 1900 comme on a pu l'appeler a posteriori, et malgré une formation très rudimentaire (les anecdotes sur les Ecoles Normales sont très intéressantes à ce sujet), ils ont su véhiculer une nouvelle relation, un nouvel ancrage en un régime politique qui tirait son essence dans la liberté de chacun, l'égalité face aux autres, et la fraternité (et ce n'est donc pas étonnant qu'un chapitre et de nombreux études soient consacrés à la syndicalisation des instituteurs avant et après guerre).
Une étude très sérieuse, qui sait parfaitement manier les chiffres, les nuançant souvent, les expliquant rigoureusement sans jamais tomber dans une vérité absolue, indépassable, qui pourrait glorifier la totalité des instituteurs de la IIIe République, sans oublier qu'il y a eu au moins un instituteur qui a affiché ouvertement ses convictions "de droite" donc soit très conservatrices, soit monarchiques, à une époque où les partisans républicains étaient situés à gauche de l'hémicycle. Des références très détaillées signalent la rigueur historique de Jacques et Mona Ozouf (à qui doivent-ils encore la prouver cependant ?), qui ne choisissent pas comme de trop nombreux "historiens" de généraliser et de laisser transparaître leurs convictions derrière une armée de faits bruts (humLORANTDEUTSCH. Hum. Pardon).
Cet essai est certes essentiellement destiné à être lu par un public d'historiens, d'étudiants ou d'historiens de l'éducation, mais peut être néanmoins lu par tout un chacun, si le désir de savoir d'où nous viennent ces aptitudes à considérer la République comme inaliénable, la monarchie comme antithétique de la liberté, ou l'attachement à un territoire national, se fait sentir. Les instituteurs de la IIIe République sont bel et bien ceux qui ont permis en plus grand nombre de faire germer dans l'esprit de chaque jeune français la graine du patriotisme et de la réflexion critique, ainsi que celle du discernement face au suffrage. Il ne suffit ainsi pas de pouvoir voter, encore faut-il savoir de quoi on parle.
"Peut-être même avons-nous toujours à apprendre de ces hommes et de ces femmes, à la fois si intrépides et si modestes, la nécessité de vivre au service d'une vérité sans croire à la nécessité de son triomphe."