"Dieu vaincu deviendra Satan, Satan vainqueur deviendra Dieu."
Critique à lire dans le cadre du programme "Culture et Politique en France de 1870 à 1940" (http://www.senscritique.com/liste/La_France_de_1870_a_1940_Culture_et_Politique_ENS_Lyon_2014/546924)
Très curieuse métaphore que proposait en 1914 Anatole France. On savait de lui son attachement tout particulier aux mouvements contestataires, aux "Intellectuels" nés de l'affaire Dreyfus; il n'est donc pas étonnant que parmi ses oeuvres les plus connues (et les plus trouvables dans le commerce), une métaphore sur la préséance de l'Eglise catholique et de l'armée sur la société française soit présente. France est un auteur un peu trop oublié pour ce qu'il représente, mais je suis partial.
Un ange, qui se fait appeler Arcade, décide de quitter Maurice, dont il est le gardien sur Terre, pour fomenter une révolte contre Dieu, qu'il nomme le démiurge Ialdabaoth. On a plusieurs histoires en parallèle, comme celle de M. Sarriette, bibliothécaire fou, qui passe plus de temps à contempler ses livres qu'à les lire. Ou encore cet abbé et tous ces autres personnages annexes qui doivent bien avoir leur importance, mais qui ne m'intéressent pas pour mon propos.
Anatole France déroule son propos sur le fait que c'est la connaissance, l'instruction d'Arcade, empruntant les livres de philosophie, de science ou de physique de M. Sarriette à son insu, cette connaissance a permis à l'ange de s'émanciper de la doctrine de Dieu, et de voir que dans les anciens révoltés menés par Lucifer, il pouvait y avoir une forme de vérité. Véhémente critique du catholicisme : depuis le début de la IIIe République, la place de l'Eglise dans la politique française est au coeur des débats, depuis Mac-Mahon qui choisit de bâtir un monument religieux pour contenter les monarchistes (le Sacré-Coeur) jusqu'à la loi de Séparation de 1905. France faisait partie de ces laïques velléitaires, choisissant une République délivrée de toute religion, afin d'amener la religion à une indépendance et une liberté plus grande. Il n'y a donc pas de critique de la religion dans La Révolte des Anges. Il y a une critique de l'importance de la religion dans le commandement, dans le régime politique. Dieu est souvent comparé à un dictateur militaire, disséminant sa bonne parole insidieusement dans la tête de chaque homme et chaque ange (le récit de Nectaire sur trois chapitres est passionnant, rétablissant la vérité du monde, prospère avant le Christianisme, sombre après celui-ci).
Les allusion de France à la situation politique de son époque sont transparentes : Arcade se prend à parler un moment de sa révolte comme d'une "révolution sociale", à une époque où les héritiers de Jaurès vantaient l'avènement de "la Sociale"; l'ange Sophar, appelé Max Everdingen, est riche, bourgeois, et pense que la France est "inchangeable", portrait de ces conservateurs véreux, qui profitent de la stagnation intellectuelle et politique; les dialogues des anges entre eux sont également intéressants. Au moment de se choisir un meneur, ils insistent pour prendre quelqu'un de jeune : critique de la gérontocratie.
C'est un appel à la culture, à l'instruction, aux arts, à la philosophie, en somme à toute forme de connaissance que prononçait Anatole France, contre toute forme de guerre, d'autocratie, à la veille de la Grande Guerre. La résolution finale de Lucifer de ne pas détrôner Dieu, au risque de devenir comme lui, rappelle les positions des Internationales Socialistes dans les années 1880 - 1890, à l'époque où les premiers ministres socialistes rentrent dans des gouvernements dits "bourgeois" : doit-on participer à des régimes que l'on décrie ? La révolte semblerait ainsi éternelle, et il ne faut combattre que dans l'opposition.
"On ne règne sur la nature, on n'acquiert l'empire de l'Univers, on ne devient Dieu que par la connaissance."