Johann Chapoutot est - avec Ian Kershaw - une des grandes références dans l'étude du nazisme et de son idéologie,
Ce livre reste tout de même imparfait, il aborde des thèmes (en moins approfondis) déjà abordés dans ses deux excellents livres - que je recommande vraiment toutefois - qui sont La loi du sang et Le national-socialisme et l'Antiquité, et il énumère au final très peu les productions culturelles du régime. Il semblerait que la plupart des textes soient des copies d'anciens articles de l'auteur.
Ici dans La révolution culturelle nazie, on s'attarde sur la dimension philosophique du nazisme, notamment sur l'influence de Kant et aussi du modèle antique, comment le droit romain a été reçu en Allemagne. En cela il n'apporte pas grand chose de nouveau malheureusement, mais il peut se lire indépendamment comme une synthèse plus courte de ses deux derniers livres.
L'explication Antique ayant déjà été formulée, elle reste toujours très intéressante. Sparte représente le modèle de la cité vertueuse car pure qui lutte face à Athènes la dévaluée. Sparte et son modèle particulier dans la Grèce antique représente l'Allemagne nazie et les démocraties occidentales. Sparte remporte la guerre du Péloponnèse car son modèle est supérieur à la démocratie athénienne. Il doit en être de même face à la domination allemande de l'Europe occidentale.
Certes, on peut avoir du mal à comprendre d'où vient l'appropriation nazie de Sparte, mais il faut savoir que ce qui les relie fondamentalement, c'est l'héritage indo-européen. Les Spartiates appartenaient à la peuplade grecque des Doriens, qui sont originaires du Nord pour venir conquérir le Sud, à la manière des Germains vers l'Empire romain occidental au Ve siècle, ce qui fait un parallèle avec les Aryens de la "mythologie nazie".
Toutefois, je regrette vraiment que Chapoutot ici (comme beaucoup d'autres d'ailleurs) n'explore pas plus l'histoire passionnante des Junkers et de l'influence qu'ils ont eu dans l'idéologie nazie.
En effet, le nazisme s'incarne dans une Allemagne profondément prussienne, la Prusse ayant "soumis" l'Allemagne, régentée par une classe sociale que l'on appelle les Junkers, qui étaient des aristocrates terriens, descendants d'Allemands ayant christianisé le pays pendant l'époque de l'Ordre Teutonique. Ils étaient maîtres de l'armée et avaient leurs propres grandes exploitations agricoles et donc une influence grande influence économique.
Leur mentalité est profondément colonialiste et ils s'emparent très tôt des terres des peuples qu'ils réduisent en esclavage (les Teutoniques ont réduit en esclavage des autochtones prussiens pour bâtir des forteresses), et écrasèrent les tribus païennes. Leur grande influence ont fait d'eux la classe dominante dans le royaume de Prusse, défendant une tradition militaire dont les nazis ont su se réclamer, ainsi que l'esprit réactionnaire et antilibéral.
Cette face du prussianisme dans la culture du nazisme est peu évoquée. Beaucoup d'éléments semblent parler d'une rupture plutôt que d'une continuité : le prussianisme était partisan d'un Etat fort mais pas dictatorial ni totalitaire (encore que le régime soit censé être dirigé par l'executif impérial et fonctionnaires prussiens, système des trois classes, etc), une mentalité d'élite conservatrice plutôt que populaire-révolutionnaire, et on trouve beaucoup d'ennemis d'Hitler dans la classe des Junkers.
Néanmoins, la continuité se trouve surtout dans le modèle glorieux de la caste militaire victorieuse qui avait forgé l'Allemagne, qui s'imprima dans l'esprit de beaucoup de non-junkers et non-prussiens. Ils étaient un modèle notamment pendant la Première guerre mondiale. Le rêve nazi de la race des seigneurs et des guerriers était de faire de chaque Aryen un Junker : un seigneur guerrier qui fait cultiver ses terres par un esclave slave, comme à la période des chevaliers Teutoniques.
Au plan organique, on peut retrouver cet esprit prussien et nazi dans le mouvement des Freikorps apparus en réaction à la révolution conservatrice allemande de 1918-1919 pour maintenir l'Empire allemand et qui ont massivement rejoints les SA de Hitler. D'ailleurs La nuit des longs couteaux fut perpétrée pour complaire aux conservateurs prussiens qui craignaient un mouvement trop révolutionnaire.
On trouve donc dans l'histoire allemande, à travers l'histoire prussienne, un esprit similaire à l'Antiquité, c'est-à-dire les Spartiates, le même modèle de l'homme guerrier réduisant en esclavage que dans l'Etat lacédémonien.
Sparte a tenté de se préserver par le sang des éléments allogènes néfaste à la race germanique : par le meurtre des enfants non conforme, d'ailleurs un précédent pour légitimer la Shoah quelque part. Sparte favorise l'épanouissement des jeunes par l'éducation physique, sportive et militaire. Le IIIème Reich trouve en elle beaucoup de sa propre conception sociétale. Simplement, c'est mieux expliqué dans les autres livres de Chapoutot.