La liberté sexuelle c'est la pensée libérale de la sexualité

Je ne veux pas faire directement une critique de l'individualisme à l’œuvre dans cette philosophie anarchiste. Déjà parce que cet individualisme n'est pas à comprendre sur le mode libertarien ou solipsiste - encore que certains éléments puissent le laisser penser - mais se raccorde à la question du contrat social et de l’État et prône en réalité un mode de relation associatif contre le contrat. Mais ma critique portera en fait sur les conceptions de la sexualité qui découlent de la matrice individualiste.


En gros si le livre me pose problème bien qu'en réalité je puisse en partager pas mal d'idées par ailleurs, c'est plutôt dans la manière qu'il a de prétendre une certaine ouverture d'esprit en matière sexuelle mais que cette ouverture est finalement très largement hétérosexuelle. Déjà parce que cette ouverture vise directement les femmes qui doivent intégrer du sexuel dans toutes leurs relations hétéros afin de lutter contre le puritanisme qui oppresse la liberté individuelle. Au final, il s'agit de faire un chantage à la liberté sexuelle des femmes qui doivent se montrer disponible pour les hommes, et ce au nom d'une égalité garantie par la libre association qui sort du carcan traditionnel du modèle marital. Alors qu'il va de soi que les rapports de domination existent dans toutes les formes de relation et de sexualité, il n'y en a aucune qui soit à ce point pure, c'est à se demander finalement qui est le véritable puritain dans cette histoire : celui qui craint à la dégénérescence du modèle matrimonial à cause de la liberté sexuelle (panique morale de droite), ou celui persuadé qu'au final le polyA lui assurera une absence de jalousie, de possession et de domination ?


C'est qu'au final cette critique du puritanisme, au travers de la liberté sexuelle, semble très datée et assez autoritaire aujourd'hui, parce qu'elle ne se légitime que dans une injonction à la pureté d'un modèle contre tous les autres jugés trop traditionnels et donc oppressifs. Derrière cette fausse ouverture d'esprit, qui accommode sa cohérence de textes en textes, on voit bien que c'est le prolongement de la domination patriarcale et hétéronormée qui reste à l’œuvre. L'ouvrage se présente donc comme un bon objet d'étude sur l'impensé qui a traversé les idéaux de libération sexuelle de 68. Un retour à Foucault et à la critique féministe de cette période permet d'en éclairer la part d'ombre à la fois sur la question du pouvoir comme Loi réprimant la liberté et sur celle d'une attention portée à la manière dont la domination masculine s'est perpétuée en se prétendant subversive. Le modèle du couple libre et du polyA aura finalement été totalement récupéré par le contractualisme. La jalousie n'aura pas réussie à être abolie des relations humaines et se retrouve dans une diversité de modes relationnels. Que les problèmes concernant la sexualité ne sont plus aujourd'hui tant liés à une morale puritaine, ou à une répression sexuelle d'état, mais se pose de manière plus directement politique pour ainsi dire car ils portent sur le mode relationnel qu'il s'agit d'inventer à plusieurs.


Finalement, le livre n'est jamais pleinement anarchiste puisqu'il ne cesse de vouloir reconduire une injonction à la liberté sexuelle, elle-même tributaire des structures hétérosexuelles et patriarcales qui l'ont vu naître dans la mesure où cette injonction vise en premier lieu les femmes dans leur relation avec les hommes. La femme devient donc l'objet sexuel qui circule entre les hommes, et ce au nom de son autonomie, de son indépendance et de sa liberté. En définitive le modèle individualiste de la liberté sexuelle, sous-couvert de défendre la libre association et en fantasmant les relations libres ne fait que reconduire le modèle libéral du contrat patriarcal et hétérosexuel, son ennemi n'était finalement que le puritanisme des petits-bourgeois choqués du bodycount.


C'est là à mon avis l'intérêt du livre et son (in)actualité, il montre l'inconsistance politique et féministe des modèles libertaires à partir du moment où ils ne cherchent à s'en prendre qu'aux questions qui agitent la droite réactionnaire : tradwife, bodycount, cucks, persuadés qu'ils sont d'être purs de tout affect de jalousie, domination et propriété. Alors qu'ils s'appuient sur une même conception libérale de l'individu. Bonne description de la nouvelle morale féministe des petits-bourgeois.

Rubedo
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