Celia Izoard est apparemment journaliste et philosophe, ce qui donne une approche particulièrement intéressante. Afin de produire un bon bouquin sur le système minier, il fallait bien les recherches empiriques d'une journaliste et l'analyse systémique d'une philosophe.
Ce livre s'inscrit dans le récent mouvement qui met en lumière la partie cachée du monde capitaliste que représente la mine. Cette mise en lumière se fait progressivement grâce à l'association SystExt et à son égérie Aurore Stéphant, petite dame qui pourfend le grand récit solutionniste de la "Transition".
En effet, cela commence à se savoir, le numérique et l'électronique ne sont pas magiques, au contraire, il n'y a peut-être rien de plus matériel que cela. Les pays du Sud en savent quelque chose et ne se bercent probablement pas d'illusions concernant ce grand récit où la matière disparaîtrait au profit d'un numérique soi-disant immatériel et donc écologique.
Aujourd'hui, le clampin ordinaire commence à comprendre qu'on se fout un peu de sa tronche avec cette histoire de voiture électrique qui serait propre. Cependant, ce grand récit est tellement omniprésent qu'une ambiguïté persiste : ça commence à se savoir sérieusement un peu partout, mais on préfère faire mine d'y croire un peu.
La ruée minière au XXIe siècle est donc une description à la fois précise et pédagogue d'une réalité mal connue, celle de la mine d'aujourd'hui. L'image d'Epinal de la mine reste celle de Zola alors que la réalité de la mine d'aujourd'hui est différente par bien des aspects, mais toujours aussi sombre dans sa substance.
La concentration des minerais est si faible à l’état naturel que la quantité de matière à extraire est colossale lorsqu'elle est mise en rapport avec ce qui est finalement réellement récupéré. Tous ces déchets qui représentent des quantités titanesques sont impossibles à stocker et polluent de gigantesques régions. Sans parler de la quantité d'eau astronomique qui est gaspillée pour ces bêtises, alors que la majorité des mines du monde sont situées dans des régions menacées de sécheresse.
Une mine responsable et verte du point de vue (étriqué) des émissions de carbone ? Un pur mythe totalement démonté par ce livre. La phase d'exploitation des mines repose toujours sur des techniques inventées au XIXe siècle. "Il sera peut-être un jour possible d'alimenter les broyeurs, les concasseurs et les usines des mines uniquement avec des centrales solaires, des éoliennes et des batteries. Théoriquement, on peut aussi équiper de batteries électriques les dizaines de tombereaux qui transportent le minerai et les stériles. Mais dans les mines d'Europe de l'Est, les camions utilisés consomment 1 300 litres de gasoil pour 100km. Electrifier un seul d'entre eux nécessiterait l'équivalent de 100 batteries de Tesla. Pour obtenir les métaux nécessaires à ces hypothétiques mines zéro carbone, on augmentera la production mondiale de fer, de cuivre, de nickel, de chrome, etc., on ouvrira de nouvelles mines, on accumulera de nouveaux déchets, on exploitera des gisements aux teneurs de plus en plus basses..."
Les sources d'eau à proximité des mines sont gravement polluées, des régions naturelles sont entièrement dévastées, les habitants du coin sont chassés quand ils ne sont pas tués par des ruptures de barrages... La mine est bien souvent une source de domination néo-coloniale qui ne dit pas son nom.
Les projets de "réimportation" des mines en Europe sont en fait des projets qui s'additionnent à ceux qui existent dans le Sud et qui, en plus, induisent un système de domination sociale intra-européen puisque, bien sûr, ce n'est pas à Neuilly-sur-Seine qu'ouvrira une mine.
Ce livre est une lecture indispensable pour contrer les nouveaux discours pro-miniers des pouvoirs politico-économiques que nous commençons à voir émerger : "Ils veulent des voitures électriques, mais pas de mines chez eux."
Leur communication et leurs éléments de langage qui trahissent la réalité du système minier sont tous prêts. Tout sera possible afin de faire accepter des intérêts économiques, ceux de la croissance du capital, au nom d'une Transition écologique, nouveau dogme remplaçant celui du Développement ou du Progrès.
Les Etats puissants ont bien compris la matérialité sur laquelle repose l'économie, quand bien même leur discours est inverse et fétichise un monde soi-disant immatériel. La course aux minerais rares façonne la géopolitique et le monde d'aujourd'hui. Les Etats leur courent après et se battent pour, d'une part, faire perdurer leur croissance économique qui repose sur eux et pour, d'autre part, tenter de réduire leurs émissions de carbone en les exportant à l'étranger afin d'afficher une belle façade écologique (alors que la Terre s'en fout bien de savoir de quel pays les émissions de carbone proviennent tant qu'elles croissent à l'échelle de la planète).
L'intérêt du livre est également philosophique et historique. Izoard rappelle la façon dont la mine a façonné l'histoire du capitalisme. Son essor en Europe a notamment reposé sur l'extraction de minerais dans le Nouveau Monde. L'autrice fait une généalogie de la métaphysique occidentale du Progrès reposant en partie sur l'exploitation des sous-sols très tôt dans l'Histoire.
A bien y regarder, le grand intérêt de ce livre est donc de faire une synthèse fouillée et maîtrisée d'un ensemble de travaux critiques du système minier. La mine au XXIe siècle est abordée de façons très différentes, de plusieurs points de vue. Malgré la pluralité d'approches, toutes concluent dans le même sens : la réalité du système minier contemporain est fondamentalement néfaste.
Pourquoi irions-nous coloniser Mars alors que nous pourrions faire Mars sur Terre ?