Préambule :

Bon, Régis Boyer ça a l’air d’être un peu l’Odin de la culture scandinave, le type sait tout, traduit tout, et ce très joliement. Dans la saga de Sigurdr, il recoupe les différents textes (de l’Edda poétique et la Volsunga saga en particulier) et raccourcit un poil toute l’épopée du héros - rendu célébre par Wagner.
Et c’est vraiment n’importe quoi.
Déjà, tous les personnages savent à l’avance ce qui va se passer, comment ils vont mourir et tout et ils disent à l’oracle : ok, c’est parti. C’est ça être un héros : accepter son destin. L’histoire commence avec Odin et deux de ses frères, dont Loki, le rusé malin méchant traître qui bouffe un poisson dans la rivière sauf que c’était un géant qui s’était transformé. Pas de chance. Du coup, il doit rembourser la mort du géant : il force un nain à se transformer en brochet et lui promet la vie sauve si le nain lui offre tout son or. Le nain lui dit ok mais l’or sera maudit. Loki s’en fout, il prend l’or et le donne au géant pas content de la mort de son copain. Les fils du géant devenu riche lui demandent son argent, il ne veut pas, les fils le tuent. Un des deux fils, Fafnir, garde tout l’or pour lui - il se transforme en dragon et s’asseoit dessus.
Mais ! le papa géant assassiné avait prévu le coup : sa fille donne naissance à un enfant qui va le venger. C’est Sigurdr. (bon y'a d'autres versions mais celle là est la plus simple)

Le frère de Fafnir, Reginn, qui a commis le parricide aussi mais qui s’est retrouvé sans le sou, va aider Sigurdr à tuer son frère : forgeron, il lui donne l’épée Gramr (il faut savoir que toute chose possède son nom, ça a l’air très important).
Sigurdr s’en va tuer le dragon, il le transperce de manière non-épique après s’être caché dans la grotte. Fafnir lui révèle de nombreux secrets sur le monde avant de mourir et lui rappelle la malédiction de l’or.
Reginn, lui, conseille à Sigurdr de rôtir le coeur de Fafnir et de le manger. Sigurdr goûte d’abord un peu du sang du géant-dragon, et, à ce moment là, il comprend le langage des oiseaux ! D’ailleurs, des mésanges le préviennent que Reginn veut le tuer pour récupérer l’or, alors Sigurdr lui coupe la tête et s’octroie donc un double festin avec le sang des deux géants. Les mésanges lui indiquent également le chemin qu’il doit suivre pour réveiller une belle jeune femme endormie, une valkyrie.
Elle est prisonnière d’une forteresse de feu, que Sigurdr franchit grâce à son cheval Grani. Le héros déshabille Sigdrifa pour la réveiller (c’est logique). Elle se lève et déclame une jolie poésie où elle dit bonjour à tout le monde et où elle apprend des tas de choses importantes à Sigurdr. Ils se marient.
Dans une autre version, où Sigfrida s’appelle Brynhildr, cette dernière, étant encore une valkyrie, ne peut cette fois-ci se marier avec Sigurdr. Elle lui prédit qu’il se mariera avec Gudrun.
Sigurdr se lie d’amitié fraternelle avec deux des trois frères de Gudrun. La mère de la fratrie, Grimhildr, magicienne redoutable, donne un filtre magique à Sigurdr, qui oublie alors son amour pour Brynhildr. Grimhildr conseille à un de ses fils, Gunnar, d’aller demander en mariage Brynhildr. Mais Gunnar et Sigurdr avaient changé d’apparence, c’est donc Sigurdr qui se marie finalement avec Brynhildr (il est dit que leur amour n’est pas consommé car l’épée Gramr les sépare dans le lit). Gudrun se fâche avec Brynhildr : elle lui révèle qu’elle est mariée non pas à Gunnar mais à Sigurdr. Brynhildr demande à Gunnar de tuer Sigurdr mais comme ils se sont jurés frères, Gunnar ne veut pas. Le troisième frère, lui, accepte : il tue Sigurdr.
Après la mort du héros, Gudrun se marie avec le frère de Brynhildr, Atli (ou Attila), avec qui elle aura deux fils.

Résumé de la situation de Gudrun : “ses frères sont les assassins de son premier mari, Sigurdr, lequel est l’homme qu’aima la soeur, Brynhildr, de son second mari, Atli.”

Gudrun demande à Atli de venger la mort de son premier mari : Atli tue donc ses beaux-frères.
Mais maintenant, Gudrun doit venger la mort de ses frères. Elle tue donc ses deux fils, ceux qu’elle a eu avec Atli, fait de leurs crânes des coupes à boire et donne à manger à Atli le coeur et le sang de ses enfants. Après coup, elle lui annonce ce qu’elle vient de faire, le rend ivre, le poignarde et fout le feu à la pièce où tout ça vient de se passer.

Fin du préambule.


Après avoir résumé cette histoire, Régis Boyer s'attarde tout d'abord sur les différents textes, de source scandinaves ou germaniques, sur leur particularité (saga, poème épique, chanson folklorique), sur l'hypothèse de leur époque, etc. La lecture de cette partie est un peu laborieuse, beaucoup de détails qui n'intéresseront que les plus passionnés des mythes nordiques.
Ce qui vient ensuite est déjà plus accessible au tout venant qui vient déguster un peu de mythologie. Boyer cherche à définir les structures du récit de Sigurdr, et ce selon quatre grandes composantes : le fond historique, le fond légendaire, le fond mythique et le fond éthique - du particulier au général.
Là encore, les détails fourmillent, surtout dans la partie historique, avec l'énumération des rois et de leurs conquêtes. On cherche à savoir d'où pourrait provenir la saga de Sigurdr dans la réalité factuelle. Beaucoup d'éléments s'entrecoupent, c'est très dense. Peu à peu, l'analyse s'allège, des éclats de génie dans l'écriture de Boyer sauvent du labyrinthe précédent !

J'aime beaucoup ce qu'il raconte à propos du mythe :
"Notre époque a beaucoup réfléchi, beaucoup écrit sur la notion de mythe. Trop peut-être, au point que, noyée sous les analyses les plus savantes, voire les plus absconses, elle tend à échapper à toute définition intelligible. Me permettra-t-on, en se souvenant que nous sommes ici à un point d'articulation particulièrement bienvenu, entre mythe religieux et mythe proprement littéraire, de proposer une conception de cette notion qui demeure accessible tout en autorisant de fructueux développements ?
Car un mythe me paraît être d'abord une histoire, suscitée par (ou engendrant : je ne sais pas ce qu'il faut placer en premier lieu) un stock de grandes images, histoire et images ne possédant un tel pouvoir d'enchantement que parce qu'elles traduisent au plus juste l'esprit de force de vie typique d'une culture (éventuellement) voire de notre condition humaine universelle."
Plus loin : "Activité fabulo-motrice ou industrie icono-motrice au départ ? Je ne sais. [J'aime bien les universitaires qui acceptent le fait de ne pas savoir.]
Toujours est-il que nous véhiculons, que nous vivons tous d'un trésor d'images quasi magnétiques, situées aux confins de la pure poésie et, comme elle, difficilement explicables, qui exigent des affabulations symboliques selon toutes sortes de variantes. Le but est évidemment de parvenir à un mode de fantastique transcendantal, où le pensable puisse être tenu pour possible, précisément par le truchement de l'image."

La parole donnée, présente dans le titre de l'ouvrage, s'explique dans la partie sur l'éthique. Régis Boyer se penche sur la notion du héros, étroitement intriquée à celle du Destin. Comme dit plus haut, le héros est celui qui accepte son destin, c'est à dire qu'il incarne la parole donnée par les dieux. Je vous laisse le plaisir de lire, un jour, tout le développement de l'auteur sur ce sujet. Non seulement l'intellect y est nourrissant mais le monsieur détient une finesse d'écriture fortement agréable pour un bouquin universitaire.
Je suis très contente d'être tombée sur son petit livre Anthropologie du sacré* au milieu de la lecture de celui-ci, car il permet de mieux appréhender les pensées de Boyer en général.

* http://happy.joueb.com/news/79-anthropologie-du-sacre-1-introduction
slowpress
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le 14 sept. 2014

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le 23 sept. 2014

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