Cet ouvrage, paru à l’origine en 2007 dans la collection « Les journées qui ont fait la France », est signé par Arlette Jouanna, enseignante à l’université de Montpellier, spécialiste de l’histoire de la Renaissance. C’est une étude de la journée du 24 août 1572, connue comme la Saint Barthélémy, aboutissant au massacre d’un nombre indéterminé de protestants (peut-être 10 000 au total ?) à Paris et dans quelques villes de province comme Rouen. L’auteure nous parle à ce propos d’un « objet historique à part, mystérieux, difficile à identifier et à répertorier ».
Elle nous explique d’abord le contexte : des tensions internationales (avec l’Espagne de Philippe II…) et des tensions nationales fortes, marquées par des haines profondes entre protestants et catholiques français. 2 camps qui n’ont pourtant rien d’homogène. Les catholiques français sont divisés en différentes factions, entre des intransigeants qui voient dans le protestantisme le Mal absolu et souhaitent son éradication totale et des modérés qui seraient prêts à adopter un modus vivendi. Pas plus d’homogénéité du côté huguenot, certains voulant le triomphe du protestantisme en France, d’autres cherchant juste à vivre discrètement leur religion. Une autre cause importante est le Roi Charles IX, « si jaloux de son pouvoir et si attaché au respect qui lui était dû », et pourtant, terriblement faible, sous la coupe de sa mère Catherine de Médicis, incontournable à la cour quand il s’agit de prendre la moindre décision. Un roi qui voudrait maintenir la paix très fragile existant les religions chrétiennes dans le pays mais qui se retrouve pris en tenaille entre les camps ennemis de sa cour (des Guises à Coligny). Dans un contexte pareil, une étincelle pourrait tout faire exploser. Pourtant, tout avait commencé par une fête : le 18 août en effet, la population parisienne célèbre le mariage d’Henri de Navarre et de la sœur du roi, Marguerite de Valois. Un « mariage en triomphe » censé symboliser l’alliance des 2 camps. Rien n’y fait et la tentative préméditée mais ratée d’assassinat contre l’Amiral de Coligny le 22 août, fait éclater les tensions et plus rien ne pourra arrêter le massacre.
Arlette Jouanna nous montre bien qu’en réalité, ce drame s’est déroulé en 2 phases consécutives. 1ère phase : le roi décide avec son Conseil, hors de tout cadre juridique, l’élimination physique de Coligny et de ses principaux compagnons, chefs des protestants. Ce massacre a lieu dans la nuit du 23 août et aux 1ères heures du 24. Coligny est défenestré, son corps traîné dans les rues, pendu et finalement décapité. Même les protestants qui vivaient au Louvre, à la cour, directement dans l’entourage de Charles IX, sont aussi tués dans la cour du château. La responsabilité du roi est donc ici entière. L’auteure parle pour cette phase d’une « ablation chirurgicale », comme pour un membre gangréné qu’il faudrait amputer. La 2e phase suit immédiatement, c’est le massacre de tous les protestants rencontrés, sans distinction d’âge, de sexe ou de milieu social. Des femmes enceintes, des nourrissons, sont assassinés, égorgés, éventrés, parfois jetés directement dans la Seine. Des tueries réalisées par quartier, les victimes étant souvent des voisins des meurtriers voire des proches. Des crimes innommables, des violences monstrueuses sont commises alors, ce que tous les témoins oculaires rapportent. Des catholiques, modérés ou pas, ont à cette occasion sauvé la vie de protestant(e)s, pour différents motifs (compassion ou intérêt). Ces tueries sont accompagnées de pillages et destructions. Les ordres du roi pour arrêter les exécutions ne sont absolument pas entendus et se poursuivent encore en septembre. Charles IX semble tout de suite dépassé par les événements qu’il a enclenchés et explique dans les jours qui suivent, pour rejeter sa responsabilité, qu’il s’agit d’un complot protestant visant l’autorité royale et que les mesures exceptionnelles prises étaient justifiées.
Une crise profonde et complexe qui pose encore de nombreuses questions sur le « contraste entre les fêtes nuptiales et les tueries, contradiction apparente entre l’exécution des chefs huguenots et la volonté de maintenir l’édit de pacification, ampleur et durée du massacre malgré les ordres du roi ». La question des responsabilités reste entière, tout expliquer par un complot préparé de longue date par Catherine de Médicis étant aujourd’hui complètement absurde. Un véritable « crime d’État », une des pages les plus noires de l’histoire française, qui a eu des répercussions fortes et durables. La France est déconsidérée largement sur la scène européenne, évidemment dans les pays protestants mais aussi dans les pays catholiques comme l’Espagne et au Vatican (le Pape, après s’être réjoui officiellement à l’annonce du massacre, en a saisi l’horreur en apprenant les faits détaillés). Une crise aux vastes conséquences religieuses, sociales et culturelles : le nombre de protestants en France s’effondre littéralement après la saint Barthélémy, passant sans doute de 2 millions avant 1572 à un million après. Le protestantisme ne sera plus qu’une religion très minoritaire en France. Les ressentiments et méfiances entre les communautés religieuses ne s’effaceront jamais totalement. Ses conséquences seront enfin politiques puisque la Saint Barthélémy a « (…) en dramatisant le débat sur la nature des institutions monarchiques, accéléré leur évolution vers le pouvoir absolu ». Cet ouvrage est essentiel et très complet, avec 33 pages de bibliographie et 77 pages de notes. Il permet de mieux saisir ce qui s’est passé lors de cette journée qui « a fait la France », avec ses incertitudes par manque de sources, tout en continuant de s’interroger sur ses répercussions actuelles.