Laurent Binet s'amuse de la vie, assez punk dans l'âme, il a fini par verser son trop plein de générosité dans la France Insoumise et soutenir Mélenchon. Ce n'est sans doute pas 1 hasard car ce dernier est un excellent tribun, chantre de la parole écrite mais lue. L'action de son livre se situe en 1980, à une époque où la civilisation n'a pas encore basculé dans la technique, où l'oral à toujours une place importante. Disons 50/50. Le sujet du livre est le langage.Il croit encore à la valeur de l'oral, qui traduit l'humain parce qu'il fait appel à tous ses sens, au rationnel, l'irrationnel, le sentimental et l'instinct. L'oral selon Binet, et c'est sans doute vrai, réalise 1 Harmonie en nous par ce que ce qui est aisément formulé, on n'a jamais le temps de le penser avant de le dire ( Charles Pépin). Bref, Binet nous prend à témoin de nos difficultés de communication pour en faire 1 pochade. Objectivement, les 2 personnages principaux ne tiennent pas la route, dérangent même dans leur invraisemblance, et celle de leur évolution qui n'à aucun sens; jusqu'à ce que l'on comprenne que le véritable propos de ce livre est de se moquer des sémiologues et de leur outrecuidance alambiquée. C'est ainsi que sont représentés plus vrais que nature, Foucault, Derrida, Lacan, Sollers, Kristeva, mais aussi les américains (Chomsky, Searle, Zapp etc.), se déchirant sur des concepts abscons et incompréhensibles sur fond de clubs sado masochistes ou celui qui échoue à convaincre est sanctionné dans sa chair. Après hésitation, et par curiosité j'ai fini par suivre l'auteur dans son délire. L'histoire n'est absolument pas cohérente, c'est du sous Da Vinci code, mais le rendu de tous ces intellectuels décadents est exceptionnel de vérité, de même que celui des hommes politiques (Mitterand, Giscard, Attali, Fabius, Poniatowski etc...) Althusser en prend aussi pour son grade, lui qui a tué sa femme et (voir l'actualité) à été considéré fou alors qu'il était juste furieux qu'elle le quitte. Il n'avait pas fumé, lui. Pourtant cela n'a pas fait de vagues. Bref, tous les personnages inventés sonnent faux, l'histoire est nase, mais l'analyse des personnages vivant à cette époque est incroyablement juste, acerbe voire acide avec jubilation, c'est plutôt bien écrit, on pense à Lodge, Damasio, Ghenassia (le cercle des incorrigibles optimistes) ou Brautigan (1 privé à Babylone) et si l'on suit l'auteur dans son délire (il intervient régulièrement, surtout vers la fin) on comprend qu'il s'agit plus d'un savoureux pamphlet que d'un roman. Vu comme ça c'est vraiment un bon bouquin, érudit, fouillé, bien écrit qui restitue très fidèlement avec brio l'ambiance de cette année1980. Mais si vous n'y arrivez pas c'est juste un mauvais roman, mal construit, plein de trous, incohérent, au mieux un rêve sous acide.