Un jeu cruel et rusé avec la notion même de « fantastique au quotidien ».
Par
le 9 août 2017
2 j'aime
Cette bonne vieille toupie d’Annie Ernaux revendique « l’écriture plate ». Peut-être faudrait-il forger pour la Sorcière l’expression « écriture propre ». Or, le propre est différent du plat. (Du reste, la platitude « vient naturellement » à Annie Ernaux tandis que la propreté du récit de Marie NDiaye est travaillée.)
L’écriture de la Sorcière est propre dans la mesure où elle est ultra-maîtrisée : rien, pas le moindre mot, pas le moindre signe de ponctuation qui ne donne l’impression d’avoir été placé là dans un but précis pour produire un effet précis. Même – surtout ? – les légères discordances de rythme ou de construction par lesquelles on s’éloigne d’une écriture plate sont délibérées : « Ces intelligentes petites barbares, mes filles, en cela me stupéfiaient » – une telle phrase (p. 11 en collection « Double »), dans sa construction même et sans parler de son sens littéral, me semble représentative de tout le roman.
Assez vite, on s’y retrouve avec un curieux mélange, à la frontière entre une sorte d’onirisme immémorial et un quotidien morne de lotissement pavillonnaire : les deux jumelles de la narratrice Lucie découvrent leurs pouvoirs magiques (divination, métamorphose) avec leur puberté – vous voyez la métaphore ? – tandis que les adultes font de ces semi-crises existentielles telles qu’elles se produisent quand quelqu’un se demande ce qu’il fout à la même table que les membres de sa famille après une journée absolument dépourvue de sens.
C’est une histoire de pouvoirs magiques et de leur transmission, mais aussi d’hommes qui fuient les femmes et de femmes à qui tout le monde échappe. « Que se passe-t-il, Lucie, avec mes enfants ? » (p. 116) demande la belle-mère, et chaque personnage pourrait demander Que se passe-t-il avec les autres ? De fait, chaque personnage évolue entre le début et la fin de la Sorcière, ce qui est peut-être à souligner quand on parle de littérature contemporaine, et à plus forte du catalogue des éditions de Minuit.
Le roman me convainc, mais qu’est-ce qui l’a empêché de m’enthousiasmer ? C’est peut-être qu’on reste souvent du côté pavillonnaire de la frontière dont je viens de parler. « Il me semblait chaque jour que mon talent s’étiolait un peu plus – en quoi, me demandais-je alors, n’étais-je pas faite pour être une bonne sorcière ? Et-ce [sic] que je manquais de volonté, de fureur et de rage ? » se demande la narratrice (p. 121). Je crois qu’il manque aussi un peu de fureur et de rage à la Sorcière, et d’un peu de saleté à son écriture.
Créée
le 31 mai 2020
Critique lue 289 fois
5 j'aime
D'autres avis sur La Sorcière
Par
le 9 août 2017
2 j'aime
Il faut tout d'abord entrer dans ce roman, dans son écriture, faite de longues phrases, élégantes, certes, mais qui déroutent au premier abord avant de charmer. En effet, les premières pages passées,...
Par
le 4 févr. 2018
1 j'aime
Style d'écriture très accessible, avec des phrases moins longues que dans ses derniers livres et avec une action dans l'ordre chronologique. Le livre original par sa forme, monde actuel avec des...
Par
le 4 juin 2013
1 j'aime
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
21 j'aime