Gratte-ciels
Un homme seul, un artiste, un créateur peut-il résister à la pression abêtissante de la société dans laquelle il vit ? Ayn Rand naquit Alissa Zinovievna Rosenbaum en 1902 à Saint Petersbourg. Elle...
le 8 janv. 2016
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Il serait assez impertinent de réduire " The Fountainhead " à un livre faisant l'apologie du libéralisme tant ce terme a été galvaudé ces dernières décennies. En faire une apologie du Capitalisme serait aussi aller un peu vite en besogne tant il est claire dans le livre, avec notamment ce fameux et long monologue final du personnage central Howard Roark, que Ayn rand dénonce vivement l'exploitation de l'homme par l'homme et le fait de dépendre d'individus et d'une main-d'oeuvre tierce pour exister. Ayn rand n'était donc pas une capitaliste dans le sens traditionaliste et mercantile du terme : elle défendait la propriété privée en opposition au collectivisme pour rendre le pouvoir aux individus et pour limiter l'interventionnisme des états qui veulent garder une main-mise incontrôlée sur tout. Alors peut être qu'elle faisait preuve d'une certaine naïveté à l'égard de ce système mais il convient quand même de nuancer et de pondérer le propos quand on l'a traite de chantre et de véritable gourou du Capitalisme. Il conviendrait alors bien mieux de la qualifier d'adepte du Capitalisme individuel et certainement pas du Capitalisme étatique.
Celle-ci, à travers cet antagonisme du créateur idéaliste jusqu'au boutiste se refusant à toute complaisance face à l'arriviste notoire totalement cynique, y décrit sa propre vision de ce qui est pour elle le vrai humanisme qui se doit de placer le respect mutuel de l'indépendance de chacun comme seul vrai principe fondateur de l'humanité. Ou en tout cas comme celui duquel doivent partir tous les autres qui vont suivre.
Rand va beaucoup exacerber ces deux archétypes de personnages pour défendre les vertus de l'égoïsme et comme pour mieux mettre en évidence sa conception de la liberté individuelle qui prévaudrait sur la liberté collective. C'est osé et transgressif dans le sens où ça prend à contrepied tout le mode de pensée occidental initié par le Christianisme qui lui place l'altruisme, le collectivisme et le sacrifice de soi au dessus de tout mais au fond ça ne l'est pas tant que ça puisqu'elle ne fait que rappeler une éthique propre à la constitution des droits de l'homme qui décrète que " la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ".
Cet autrice prône donc l'égoïsme comme une vertu. Mais pas l'égoïsme "je ne pense qu'à moi" l'égoïsme rationnel "je pense d'abord à moi".
Je vois de l'existentialisme à la Sartre dans son éthique tant elle promeut des idéaux qui veulent que l'homme se définit par ses choix et ses actions personnels et qu'il est libre de s'émanciper des contraintes tenaces du déterminisme (déterminisme qui souvent s'apparente davantage à une influence). Car finalement toute cette histoire peut se résumer comme un rapport de force (manichéen de prime abord) entre un architecte voulant à tout prix garder sa liberté créative et artistique à travers son autonomie face à une pression social et systémique grandissante et un architecte carriériste qui va toujours dans le sens du vent pour se faire mousser et qui devient alors un simple pion du système totalement malléable. On est clairement dans le rapport théorisé par le célèbre philosophe français avec d'un côté quelqu'un qui choisit son essence et donc son être et de l'autre quelqu'un qui laisse les autres et la doxa ambiante choisir pour lui pour une simple question de gloire, de prestige et de notoriété.
Pour détruire et brouiller cette dualité binaire Ayn Rand place entre ces deux protagonistes un directeur de journal beaucoup plus complexe et nuancé et c'est une réussite total tant ça nous offre de profondes et intenses réflexions sur pas mal de thématiques comme le rapport au pouvoir, à la création, à l'art, la sacralisation du plus grand nombre au détriment de la minorité, l'intégrité... J'aime comment l'écriture de ce Gail Winand renverse la conception que l'on se fait de l'égoïsme et en même temps la représentation cliché que l'on se fait des gens qui occupent ce genre de fonctions... Ça nous présente clairement comme antithèse de l'égoïsme toutes les corporations qui ne vivent qu'à travers le qu'en dira t-on, la démagogie et le regard du grand public. Car même si le trafic d'influence et la corruption sont employés à des fins et des intérêts personnels (typiquement avec le perso Peter Keating), les systèmes politiques et médiatiques restent quand même totalement prisonniers du regard des autres. Ce ne sont plus eux qui fabriquent le consentement, c'est la masse qui le dicte aux pouvoirs en place. Dès lors ils sont contraints de penser aux autres avant de penser à leur petites personnes.
Voilà pourquoi je dis que c'est un livre faussement subversif : Car " La Source vive " nous dépeint un système de pensée dont les codes ont déjà été faussés et pervertis par des dogmes et des canons arbitraires et cette vision des choses faite d'objectivisme nous est présentée comme un simple retour à la normal. Ou du moins comme un juste retour à la raison compte tenu de ce que dénonce le roman.
Et au delà de ce vibrant hommage à cet art plein d'histoire et alors menacé qu'est l'architecture, cette " Source vive " trouve sa toile de fond dans un New York des années 30 (personnage central du bouquin) en pleine effervescence et reconstruction. C'est écrit admirablement même s'il faut s'attendre à énormément d'emphase sur bien des aspects. Pour moi ça aurait gagné à être un peu plus court (ça insiste trop sur une histoire d'amour à travers un personnage féminin représentant l'archétype de la femme fatale propre à l'époque) mais sinon ça reste un roman tout à fait humain quoiqu'on en dise.
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Créée
le 8 mars 2023
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