La splendeur des Lansing peut se lire comme le pendant optimiste de Chez les heureux du monde. En effet, même postulat de départ : dans la haute société new-yorkaise, Susy et Nick, célibataires qui ne disposent ni l'un ni l'autre de la fortune de leurs riches amis et relations, mais qui n'imaginent pas un seul instant vivre ailleurs que dans ce monde d'argent, d'apparences et de plaisirs, se reconnaissent pour des âmes sœurs. Oui mais voilà, impossible de se marier puisque leur train et leur mode de vie en pâtirait atrocement. C'est là que Susy imagine un plan terriblement terre-à-terre, qui leur permettrait de vivre pleinement leur relation... temporairement. Puisque dans cette société, un couple de jeunes mariés est sans cesse invité à s'installer chez les uns et chez les autres, elle compte bien que leur lune de miel pourrait durer au moins un an, pendant lequel ils pourraient vivre aux crochets de leurs amis. Après quoi... ils n'auront qu'à divorcer pour se trouver un riche époux et une riche épouse qui pourvoiront à leurs besoins. Plan terriblement cynique, dans un monde qui ne l'est pas moins, reposant paradoxalement sur un amour réciproque. Plan qu'ils s'empressent d'adopter.
Seulement, si Susy et Nick s'aiment et que leur projet se déroule à merveille, les incompréhensions se font vite jour entre les deux époux. Difficile pour Nick de comprendre à quel point la vie d'une femme, dans cette société aisée, hypocrite et impitoyable, est bien plus difficile que celle d'un homme et répond à des critères autrement plus exigeants (mais ne relevant pas forcément de l’éthique, bien au contraire). Difficile donc de comprendre que Susy se soit habituée, au fil du temps, à faire des compromis avec les principes de morale plutôt rigides qui sont ceux de Nick. Incompréhension qui va les conduire à s'éloigner l'un de l'autre et à envisager de divorcer plus vite que prévu. De là, obligation de se trouver rapidement un mari riche pour Susy, car, en dehors du mariage, pas de salut pour la femme dans cette société. De là, péripéties et obstacles qui vont s'accumuler et ballotter le lecteur ; des coups de théâtre à répétition qui sont peut-être un chouïa trop nombreux, mais qui servent la trame dramatique.
Car, si les points de vue des deux protagonistes sont alternativement étudiés, c'est incontestablement le roman de Susy qu'Edith Wharton a écrit. Dans son style toujours fin et analytique (elle n'était pas une admiratrice de Proust pour rien), elle va suivre la lente émancipation intérieure de son héroïne, sa découverte, peu à peu, d'un monde qui ne se limite pas à la société étriquée qu'elle a toujours fréquentée, son dégoût grandissant pour cette même société. Il y aurait donc une vie en dehors du cercle des riches New-Yorkais... La splendeur des Lansing, c'est l'histoire d'une recherche d'identité, d'une prise de conscience, de l’accession à la liberté coûte que coûte. Wharton ne nous avait encore pas habitués à tant d'optimisme !