La Synagogue des Iconoclastes (1972) s'inscrit dans la riche tradition des Vies qui, remontant à l'antiquité, fut florissante durant tout le Moyen Âge puis réhabilitée par les fameuses Vies Imaginaires de Schwob et depuis lors refondue à un peu toutes les sauces. Version plus dense que le "Stéréoscope des Solitaires" qui multipliait les micro-saynettes, miettes, fabliaux et autres lambeaux de 2-3 pages, ces Iconoclastes sont de véritables vies pleines et remplies.

Des précurseurs ratés, inventeurs doux dingues, des Challenger qui implosent en plein vol, des coups d'épées dans l'eau, des branches brisées (sciées) de l'Histoire et avec elles leurs germes d'Uchronie ; cette synagogue est un grand Panthéon des oubliés, les gogues des annalistes. Certaines vies sont totalement inventées et certaines sont bel et bien réelles. Mine de rien, distinguer les unes des autres ne sera pas toujours si évident... qu'il s'agisse de la toujours aussi ridicule théorie de la Terre creuse, de tenter de contrer la Gravité "notre ennemi numéro un", de rechercher les particules qui font l'essence de la beauté, de considérer les idiots comme le prototype de l'Humanité, de fonder une utopie revenant au XVIe siècle, de relier la France et l'Angleterre par un train sous-marin et autres théories souvent farfelues, presque toujours dangereuses.


" Les utopistes ne s'inquiètent jamais des moyens : à condition de rendre l'homme heureux, ils sont prêts à le tuer, le torturer, l'incinérer, l'exiler, le stériliser, le dépecer, le lobotomiser, l'électrocuter, l'envoyer à la guerre, le bombarder, et ainsi de suite : tout dépend du plan. Il est réconfortant de penser que, même sans plan, les hommes sont et seront toujours prêts à tuer, torturer, incinérer, exiler, stériliser, dépecer, bombarder, et caetera. "


Wilcock, argentin ami de Borgès, exilé en Italie et qui adopta leur langue, semble une Boussole qui ne sait plus, ou plutôt ne veut plus, pointer le Nord comme il faut, docilement, ni juste pointer le Sud par simple esprit de contradiction. Devenue folle elle désigne tantôt un absurde léger, tantôt une science-fiction hybride, tantôt une ironie grinçante, tantôt un humour plus noir. Rose des vents détraquée. Sorte d'extension voire de contre-poids aux Contes Cruels de Villiers de l'Isle-d'Adam : ces iconoclastes apeurés par le futur, à l'horizon des grands bouleversements, s'enferment dans un passéisme aveugle et consanguin tandis que d'autres s'abîment dans un positivisme naïf.
Malheureusement sans le style du symboliste car ce genre d'exercice, avec sa narration faussement détachée, son oeil inquisiteur dans le temple, ne peut à la longue s'éviter de sonner froid, répétitif et compassé.


" Dans son livre, le psychiatre français décrit ou propose un Eden originel peuplé d'imbéciles : paresseux, engourdis, spécimens aux yeux porcins, aux joues jaunes, aux lèvres épaisses, à la langue pendante, à la voix rauque, dotés d'une ouïe pas très fine et d'un sexe insignifiant. Il les appelle, suivant une expression classique, les enfants du bon Dieu. Leurs descendants, que l'on définit improprement comment étant des hommes, tendent de plus en plus à s'éloigner du modèle primitif platonique ou imbécile, poussés sans relâche vers ces grouffres de démence que sont le langage, la morale, le travail et l'art."
Nushku
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le 27 oct. 2013

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