Emile Zola, l'écrivain naturaliste justicier, nous emmène découvrir la Beauce, sa Terre et ses habitants, les paysans, mais aussi leurs traditions ancestrales qui sont manifestement le viol, l'inceste, l'alcoolisme, le vol … Avec un talent digne des plus grands journalises, il amène son lecteur à considérer, comme lui, le paysan comme le dernier des abrutis. Mis à part Jean et Hourdequin, deux personnages socialement et intellectuellement mais aussi moralement supérieur à cette fange immonde de la population, aucune lueur d'espoir dans ce lamentable petit village de Rogne.
Commençons par les qualités du livre. L'auteur nous offre une magnifique description de la région et de l'activité paysanne. Il décide naturellement de faire de la « Terre » le personnage central de son roman, la comparant très, voir trop, souvent à une femme (et que l'homme veut détenir, ensemencer, contempler…). Ainsi, les horreurs commises par l'Homme sont souvent mis en perspective de la beauté du milieu naturel : les champs, les vignes, les forêts. Dans ce décor dépeint avec réalisme, Zola souligne la place de la Terre dans la vie de nos infâmes paysans. Ces derniers, ont l'impression de posséder cette terre en la parcellant, mais en fait, grande morale de l'histoire … c'est la Terre qui les possède. C'est elle qui les engloutira tous au final. Cette idée est intéressante et nous permet d'adopter le point de vue de l'auteur, qui consiste à regarder de loin les évènements.
Il est notamment intéressant de bien comprendre l'enjeu que représente le partage de l'héritage dans la vie paysanne. Ce partage est un paradoxal mélange de respect pour le bien ancestral, qui appartient souvent à des générations, et la haine suscitée par les soi-disant injustices de traitement. Cette haine qui dépasse l'entendement fini cependant toujours par s'estomper, les paysans devant bien vivre ensemble.
Enfin l'auteur nous gratifie de quelques tranches de vie mémorables comme les soirées paysannes autour de la grande table autour de laquelle on se raconte les légendes du coin les plus effrayantes. Il y a les vendanges, moment fort attendu de cohésion au village qui donnera lieu à la truculente anecdote de l'âne saoul. Bref, Zola sait décrire ces choses et la véritable puissance de son oeuvre repose précisément ici-même.
Mais Zola, avec la Terre, donne tout son sens au terme de roman populiste : l'objectif est de s'adresser au peuple avec les mots du peuple (du moins le peuple tel que Zola l'imagine avec mépris). Ce peuple qui a besoin de voir pour comprendre, on va lui montrer tout ce qu'il y a de plus sale et de plus abject dans la condition paysanne. Et dans ce domaine, Zola s'en donne à coeur joie. le viol, apparemment monnaie courante chez les paysans, se pratique en famille, entre frère et soeur, et même avec la femme que l'on aime : de vrais animaux ! A partir d'un chapitre, l'auteur a la brillante idée d'inclure des scènes de flatulence. Et c'est parti, chaque page contient son lot de scènes graveleuses, continuant de rabaisser notre cher travailleur de la terre à l'état de demeuré crasseux et notre cher lecteur à l'état de vulgaire consommateur d'histoire triviales. Tout en restant dans le scato, il y a bien évidement cette scène ou un personnage a la brillante idée de détourner les canalisations dans ses champs afin de fournir à la terre, le meilleur des engrais : les excréments... Surement documenté, Zola prend cependant un malin plaisir à insister sur cette partie pour être sûr que son lecteur en sente vraiment l'odeur. Dans ce monde paysan, l'amour filial, familial, et même conjugal n'existent pas, nous avons juste à faire à une bande d'escrocs stupides et vénaux, sans foi ni loi. Belle image de la paysannerie française, d'un grand auteur qu'on dit assoiffé de justice.
Pour mon premier livre de Zola, je dois dire que je ne suis pas déçu. L'auteur est cohérent avec ses idées républicaines. Dans un style incontestablement soigné, il déploie tout son mépris de classe sur le monde des campagnes et la paysannerie à la base de nos sociétés et piétine ainsi avec talent une activité noble et pluri millénaire.
Dans la logique intellectuelle qui régit la France depuis 1789 et qui consiste à renier le passer, Zola nous présente le monde paysan avec la plus grande malhonnêteté. Il décontextualise des faits divers pour nous en livrer un lamentable condensé dans un village d'arriéré, qui mériterait à l'en croire, d'être détruit par les prussiens à grands coups de canons.
Le procédé argumentatif est très simple : prendre un carnet, un stylo : s'enfermer dans une baraque à la campagne, poser deux ou trois questions au vieux péquenot aigri du coin, qui sera forcément heureux de vous raconter avec détail l'ensemble des rumeurs salaces du village et enfin, prendre sa plume lumineuse d'écrivain pour dénoncer l'horreur et l'injustice de cet ignoble monde paysan.
Les thèmes évoqués par Zola sont importants : fin du protectionnisme, mécanisation des campagnes, exode rural, régression des sols… Mais sa volonté de caricaturer le milieu, par soucis de populisme, bien évidemment, viens détruire de bonnes intentions originales et un travail de recherche incontestable.
D'autres écrivains se sont attaqués à la tâche difficile de décrire ce milieu qui n'a jamais vraiment su parler de lui-même dans la littérature (eh oui, peu d'écrivains paysans…). Depuis Virgile jusqu‘à Pagnol en passant par Bazin, Giono … Jamais un écrivain n'aura affiché autant de haine envers les paysans.
Heureusement, bien plus tard, le prix Nobel de littérature 1924, viendra couronner la magistrale fresque paysanne de Wladyslaw Reymont (prix Nobel 1920). Ce chef d'oeuvre ne cache pas l'âpreté du milieu, mais insiste sur la noblesse de cette vie, sur le courage des paysans, éternels travailleurs de la terre, ainsi que l'immense apport qu'ils ont offert à nos sociétés modernes.