Depuis la sortie d’un garage parisien, un homme s'enfuit d’une traite dans une berline volée, lestée d’un paquet qui encombre son coffre, sur le long ruban autoroutier de Paris à Cadix, la ville de son père.

«Conduire la nuit t’est une plaie ouverte, purulente. Tes yeux suintent à scruter l’obscurité. Les phares puissants de l’automobile n’atténuent en rien cette appréhension permanente du prochain virage et de ce qui pourrait en surgir.»

Dans l’habitacle de cette berline confortable aux fauteuils de cuir gras, les souvenirs, émaillés de colère, de dégoût et parfois de tendresse, ressurgissent comme des bulles qui éclatent, l’histoire de son père immigré espagnol, l’humiliation reçue en héritage, l’enfance à la trajectoire coupée par le départ d’Espagne, et l’entrée au forceps dans la langue française, une langue qui refusait de se donner, comme une amante blessante et insaisissable.

«L’enfance a été banale. Toutes les enfances sont banales. Tes uniques points de comparaison étaient les copains du quartier. Arabes, Yougoslaves, Manouches, et Français. La plupart d’entre vous possédaient deux langues et méprisaient le pays d’origine. La langue des parents était chez tous une langue inculte, une langue au gout de terre, de poussière et de fuite, une langue crasseuse qui fait honte.»

La langue est le conducteur de ce récit d’une redescente dans les plis d’une mémoire douloureuse, après l'explosion d'une humiliation si longtemps ravalée et soudain métamorphosée en poussée de haine.

«Il faudra qu’il tente de la faire entrer dans sa bouche, cette langue française, mais elle résiste, trop grosse, trop épaisse, comme une énorme tranche de pain de mie.»

Le premier roman attachant et intense d’un écrivain à suivre.
MarianneL
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le 10 janv. 2015

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MarianneL

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