Anne Fine aime les personnages excessifs. Ceux qui ne reculent devant rien pour vivre leur vie à plein régime.
Qu’il s’agisse par exemple d’un papa divorcé prêt à jouer les nounous d’enfer pour continuer à voir ses enfants (Madame Doubtfire), des habitants d’une île tous plus allumés les uns que les autres (Brochettes à gogo) ou bien sûr d’un chat assassin, les doux dingues sont au pouvoir dans les livres de la romancière anglaise.
Dans cette catégorie, Stolly est l’un de ses plus beaux héros. C’est un enfant entier, habitué à parler sans filtre et à dire sans retenue tout ce qui lui passe par la tête, ce qui donne forcément quelques situations réjouissantes – d’autant plus que personne ne lui en veut jamais, tant sa sincérité est évidente.
C’est aussi un personnage doté d’une imagination fabuleuse, dont le narrateur, Ian, son premier spectateur, nous fait régulièrement profiter.
C’est enfin, et c’est le plus important, un garçon rempli de failles, de fragilités, de doutes sur tout et n’importe quoi, à commencer par le sens de l’existence.
Sous leurs airs farfelus, ses questionnements peuvent être ceux de n’importe quel enfant ou adolescent, et voir ces problèmes exposer de manière aussi franche peut faire le plus grand bien.
La Tête à l’envers est également un très beau roman d’amitié.
Le lien qui unit Ian et Stolly est merveilleux, drôle, d’une totale évidence. C’est l’une de ces amitiés incroyables qui donnent du sens à toute une vie, et dans lesquelles il est si réconfortant de se réfugier quand tout ne tourne pas comme on le voudrait.
– Tout ça, ça parle de moi ?
– Pas que de toi, admis-je. Ca parle aussi un peu d’autres personnes pour qui tu as joué un rôle essentiel. Ou pour qui les
choses auraient tourné tout autrement si tu n’avais pas été là.
Stol garda le silence. Enfin, il dit :
– Donc… une sorte de biographie ?
– Oui. Une sorte de boîte à souvenirs en mots et en phrases.
– Pourquoi ?
– Pourquoi ? (…) Pour que tu piges.
– Que je pige quoi ?
– Que c’est important que tu existes. A quel point c’est important.
C’est aussi un superbe livre sur la famille, car les parents ont leur place dans cette comédie qui sait, à l’occasion, se faire émouvante, mélancolique ou poignante.
Que ce soit ceux de Stolly, aussi cintrés que lui dans leurs genres respectifs, ou ceux de Ian, délicieusement normaux et aimants par comparaison, ils rappellent qu’on ne se construit pas de rien, et qu’on tire le meilleur comme le pire de nos géniteurs – ou de ceux qui nous élèvent.
Car La Tête à l’envers aborde, au passage, le sujet de l’adoption et de l’abandon, Ian ayant été trouvé bébé dans la rue avant d’être accueilli par les bien-nommés Paramour.
Comme tous les thèmes qu’elle convoque dans ses histoires, Anne Fine en parle avec franchise et délicatesse. Et donne de l’épaisseur et du sens à son narrateur, qui ne se contente pas de jouer les faire-valoir pour son meilleur ami.
Ce roman a tant de qualités qu’il finit par n’avoir aucun défaut. C’est fou, non ?
Drôle, spirituel, touchant, pertinent, bien écrit, formidablement attachant… Une lecture très chaudement recommandée !