Un roman picaresque féminin hanté par la guerre de Trente ans

Je conseille la lecture de ce court roman après celle du "Simplex Simplicissimus" de Grimmelshausen. C'est en effet une sorte de pendant féminin. L'héroïne, dans l'introduction, est une vieille rombière qui fait mine de protester que Simplex l'ait fait passée pour une oie blanche dans ses mémoires. Elle entame donc le récit de sa vie pour persuader Simplex qu'il se trompait sur toute la ligne.

On suit donc la vagabonde, qui va être bringuebalée à travers l'Europe germanique au gré des opérations de la guerre de Trente ans. Originaire de Bragoditz en Bohème, elle est élevée par une nourrice sans connaître ses parents. Son village est pillé, et elle se déguise en jeune homme pour ne pas se faire violer. S'attache à un jeune capitaine, avec qui elle se marie, mais qui est tué peu après. Je ne vais pas détailler toutes les péripéties, mais la jeune demoiselle va faire son éducation pendant ces années de guerre, et se marier à vue de nez une bonne dizaine de fois, pour toujours se retrouver veuve (c'est un peu répétitif, parfois). Elle se fait courtisane, puis pillarde assistée de deux valets, puis vivandière qui suit les troupes (avec un mari qu'elle manipule, et qui est Springinsfeld, le futur compagnon de Simplex). Elle subit un viol, dont elle arrive à se venger. Elle se découvre un don pour le vol de bijoux, souvent avec des combinaisons assez ingénieuses (l'acide sur le soupirail et la mise en scène pour délester une noble d'un diamant). Elle apprend même par sa nourrice qu'elle est fille d'un noble, mais que son père a fui à Istanbul pour devenir mahométan. Enfin, elle tombe sur un fétiche qui donne la richesse mais qu'on ne doit revendre que moins cher que ce qu'on a eu, sans quoi l'on meurt. Mais à chaque fois la guerre, ou la mauvaise opinion, ou une inimitié quelconque prive Courage du fruit de ses combinaisons.

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Ce que je préfère, c'est l'immoralité, la vision à hauteur d'homme. On se sent rassuré de côtoyer des personnages qui ne sont pas des idéaux, des modèles de vertu, mais qui sont tentés de profiter de la bêtise de leur entourage, et qui doivent sans cesse s'adapter, pour survivre, ou parfois pour de mauvaises raisons. J'étais étonné du passage fantastique avec le fétiche, et il y a aussi des expressions antisémites qui font pour le moins tiquer (la haine pour l'usurier juif, très Mitteleuropa). Une fois, d'accord, mais on y revient assez souvent. On va dire que c'est l'époque qui voulait ça... ça ne m'avait pourtant pas frappé dans "Simplex", qui comportait pourtant des tirades antifrançaises assez virulentes.

Il serait intéressant de suivre l'itinéraire de Courage, qui passe à Vienne, Prague (souvent), en Italie du Nord. Mais si la chronologie de la guerre est scrupuleuse et sert de trame au récit, je ne suis pas sûr que le canevas des déplacements soit toujours aussi rigoureux.

"La vagabonde courage" est inférieur à mon sens à "Simplex Simplicissimus". On sent un auteur plus vieilli, moins agile dans l'invention, qui donne parfois à son récit un aspect un peu répétitif. Il y a quand même de beaux passages picaresques, et c'est une mine sur les atrocités et la bêtise qui régnait pendant la Guerre de Trente ans.
zardoz6704
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le 17 août 2014

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