C’est l’histoire d’une Groenlandaise qui va habiter au Danemark pour ses études, et qui se heurte à sa propre inadéquation au monde « moderne ». En fait, ce n’est pas tant un livre sur la différence que sur la solitude qui en découle. Au début, quand elle est dans l’aéroport, elle rencontre une autre Inuite, une sorte de miroir distordu d’elle-même, avec un manteau qui sent le phoque, une manière de parler très ou trop spontanée, une agressivité qu’elle a du mal à refluer, et c’est comme une note d’intention de son voyage au Danemark. Tout le long, elle sera incomprise, infantilisée à cause de sa culture, ignorée ou méprisée. Car au-délà de la barrière de la langue, c’est aussi tout le langage infraverbal qu’elle n’arrive pas à saisir, ou qu’elle imite maladroitement pour se faire accepter. Et ça m’a fait penser à une analogie un peu simpliste : j’aime beaucoup regarder les films ou séries en version originale sous-titrée, et pourtant, je comprends mieux la version doublée. En effet, l’intonation d’une langue est aussi importante que le message délivré et quand je regarde une deuxième fois une œuvre en français, il m’arrive de remarquer que je suis passée souvent à côté du sous-texte de certaines répliques et donc du degré de relation entre les personnages. Je pense que c’est ce même phénomène que vit l’héroïne, à quoi on peut ajouter une sorte de racisme bienveillant. Et alors qu’on pense que le sujet du livre va s’articuler autour de ces questions, il change à un tiers de trajectoire pour se dérouler à nouveau au Groenland, dans une sorte de roman social, centré sur le suicide la cousine de la petite amie de la narratrice. C’est à ce moment qu’on comprend que le creux qu’elle ressent par rapport aux autres n’est pas que culturel, car elle n'a aucun véritable chez elle, même quand tous l’entourent, elle est toujours seule. Le roman a alors des accents de l’Attrape cœur de Sallinger, et le double fou de la narratrice revient, comme pour lui rappeler qu’elle n’appartient à aucun endroit, qu’elle sera toujours exclue, si bien qu’on se demande si celui-ci a vraiment existé ou n’a été depuis le début qu’un oiseau de mauvaise augure, comme les corbeaux dans le cimetière de la vallée des fleurs. Le livre peut aussi être lu comme une relecture de La petite fille aux allumettes : la manière dont elle cherche, à sa manière, de l’aide dans la rue, et que les gens ignorent sa détresse, le fait qu’une de ses pensées revient à sa grand-mère, seule véritable lumière de son enfance.
Le style est très moderne, il vous fera immanquablement penser à Sally Rooney. Des phrases taillées jusqu’à la moëlle, incisée parfaitement, et entre lesquelles circule une poésie un peu vaporeuse. Petit défaut cependant, une certaine monotonie à la lecture, les phrases sont très semblables syntaxiquement, et surtout, de nombreuses répétitions (qui sont sans doute fait exprès mais fatiguent le lecteur). Mais je vous le conseille quand même, car en plus d’une histoire qui nous parle, on en apprend plus sur les relations entre le Danemark et le Groenland, comment une terre colonisée vit dans le modèle et en même temps dans l’ombre de la nation colonisatrice.