Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Juin 2024
Avec ses illustrations très sketchy et son héroïne de huit ans anormalement mature et débrouillarde vivant dans une famille absurde m'ont d'abord fait pensé que "La vie selon Céla" ressemblait beaucoup à Matilda, de Roald Dahl. Néanmoins, après lecture, si certains éléments ont en effet des similarités très typiquement britanniques, malgré une autrice états-unienne, il y a quelque chose de particulier avec ce roman, qui est touchant.
Céla Ella Fleurdépine est en quelque sorte l'employée de ses propres parents. Sa mère, la mairesse de Valfoly est une grand perche à la coiffure haut perchée d'un égoïsme extrême et d'une profonde vacuité, tout à son unique désir d'être "célèbre" ( à entendre "qu'on parle d'elle partout"). Son père est pour sa part un petit homme rondelet, trésorier de la ville, qui ne mange que la même infecte pâte d'affreux mélange entre macaroni et fromage chimique, dont les méandres de son esprit sont habité par la seule perceptive de faire de l'argent pour le principe d'accumuler de l'argent. Entre un être irrécupérablement vaniteuse et un autre indubitablement radin, Céla occupe son morne quotidien entre ses corvées domestiques, son programme de mise en forme à la télé et son feuilleton préféré peuplé de personnages candides. le jour où elle se but à la question "à quoi servent les gens", elle entend trouver la réponse à la bibliothèque de la ville, située juste derrière chez elle. Dès lors, sa rencontre avec le gentil Harry, neveu de la bibliothécaire, va changer sa perceptive du monde. Entre sa récolte quotidienne de biscuits, ses nouvelles lectures passionnantes et les rencontres qu'elle fera, Céla sort enfin de son univers en vase-clos, avec comme conséquence assez logique de ne plus vouloir retourner à sa vie normale.
Je retrouve dans ce roman le côté complètement déjanté de moult auteurs et autrices britanniques, qui visiblement aiment toujours autant les enfants maltraités que les orphelins. Ici, nous avons une enfant démesurément négligée et laissée à elle-même. Céla n'a même pas été dûment nommée, il s'agit en fait de la phrase " C'est là, et là", devenu "Céla Ella", alors que sa mère indigne refusait de signer deux prénoms dans le formulaire de l'hôpital. le ton est ainsi donné. Posant sa fille comme un vulgaire sac à mains dans l'espoir d'attirer l'attention, la mère de Céla a donné la vie simplement pour parader plus encore. Néanmoins, la petite fille devient rapidement la bonne à tout-faire au service de ses feignasses de géniteurs. Ses possessions sont pour la plupart en papier journal et ruban adhésif, ses rares vêtements déjà sur la liste des choses à rembourser et elle ne va bien sur nul part en-dehors de sa maison, école comprise.
Ça me fait toujours rire ce genre de situation totalement invraisemblable, parce que l'adulte en moi voit surtout que si les parents de Céla n'ont jamais rien fait pour elle, elle n'aurait simplement pas survécu. J'imagine mal des parents changer les couches et donner le biberon pour ensuite tomber dans l'ignorance la plus totale, comme bon nombre de cas de la littérature jeunesse britannique dont Matilda et Harry Potter. Il faut donc laisser l'absurde couler. Je me rappelle le roman "L'évasion magique de Clémentine", où la petite fille sans prénom était carrément tenue prisonnière depuis ses premiers jours de vie dans un genre de cachot par des voleurs extrêmement vils, maltraitée et humiliée sans aucune raison autre que la méchanceté le plus pure. Ce qui est exaspérant de ce genre de roman, c'est le manque de fond. À quoi servent ces histoires où ont a juste deux êtres perfides et une orpheline miraculeusement indemne psychologiquement, si rien ne vient donner un minimum de pertinence à tout ça? Des personnages aussi profondément dénués d'âme que les parents de Céla ou les geôliers de Clémentine, franchement, c'est tout simplement manichéen. Cela dit, dans le cas de Céla, ses parents ont au moins un élément de plus que les bourreaux de Clémentine: Un unique trait de personnalité. Une profonde égoïste et un total radin, dont la routine est incroyablement répétitive. Au moins, ils ne sont pas totalement vides et possèdent des travers très typiquement adultes, mais ils ne connaitront aucune réelle progression en tant que personnages. Et avoir un seul trait de personnalité est tout simplement impossible. Les parents sont presque des éléments de décor plus que des personnages.
Céla, en revanche, va faire comme Matilda avec son école et sa prof: Grandir et s'affirmer. Tout comme Matilda, elle connait un essor de connaissances grâce à la lecture, et tout comme Matilda, a un don. C'est une prodige des mathématiques et réalisent même les comptes pour son père trop déficient pour savoir calculer. En plus, elle a apprit seule à lire et à écrire. Une douée, en somme. Encore. C'est une petite héroïne gentille et avenante, curieuse et pétillante comme le sont souvent les héroïnes, dénué de la moindre trace de malice. Comme elle ne connait rien du monde, ses pensées et ses comportements sont plaqués et manquent de naturel. Néanmoins, c'est intéressant pour cette même raison, car nous pouvons voir à travers elle les codes sociaux, le décodage émotionnel et même les comportements pro-sociaux. C'est la dimension que j'ai préféré du roman et je me dis qu'à l'ère des réseaux sociaux, où les écrans ont la fâcheuse tendance à se substituer aux interactions réelles, avoir des histoires qui s'attarde à la façon d'avoir des relations de qualité, ce n'est pas de trop.
"À quoi servent les gens?" est la grande question qui sous-tend l'intrigue. Les gens servent à partager des moments, des conseils et un ressenti. Les gens servent à se soutenir, dans les temps incertains. Les gens n'ont pas de "valeur" monétaire, mais une valeur sociale. Les gens tiennent tout sorte de rôles, qui sont appelés à évoluer, ou pas. Les gens nous permettent d'être soi-même, quand on sait avec qui s'entourer. Les gens permettent d'aimer et être aimé, quand on sait s'entourer. On ne choisit pas sa famille, par contre, on choisi ses amis. Ou peut-être que la famille "de sang" et la famille "de coeur" ne sont pas forcément constitués des mêmes gens? Avec humour et avec pertinence, l'autrice navigue sur la qualité des rapport entre individus et c'est tout un éventail de personnages qui se déploie autour de Céla. Des gens atypiques, singuliers, certains excentriques, mais tous bienveillants.
"Les enfants sont-ils condamnés à être comme leurs parents" est aussi une question phare, mais dans un monde aussi absurde et clivé, c'est plus dur de le travailler. En effet, c'est tout-de-même un sacré miracle que Céla soit ce qu'elle est, car ne serait-ce que par apprentissage par observation, elle aurait un minimum de ressemblance avec ses parents et ce sont ses seuls modèles, en dehors de ses héros de la fiction. Donc, que Céla soit une pureté de gentillesse et de générosité est en soi très peu crédible et improbable. On n'est pas le sosie de son parent, par contre, on est rarement leur parfait opposé dans une telle situation et à un si jeune âge. Je reconnais là encore un trait de la littérature jeunesse britannique et également états-unienne, qui semblent aimer les forts effets de contrastes.
Céla a une chance insolente: Personne n'est aussi détestable en-dehors de ses parents, clivant donc gentils et méchants, elle n'a donc pas vraiment un milieu réaliste. Elle peut vivre dans une boite sans même se soucier de sa sécurité. Les Valfolois n'ont visiblement aucuns recours contre leur Mairesse qui les saignent aux veines avec des taxes ridicules et leur vole les budgets alloués aux services publiques. Allons donc, où sont les manifs? Et les élections municipales? Il y a quand même un large part de chance dans cette histoire. Aussi, elle est formidablement astucieuse pour une enfant totalement coupée du monde durant huit ans et déscolarisée. C'est donc assurément un registre absurde pour qu'autant d'incohérences coexistent. Et encore une fois, mais où donc la Protection de la jeunesse? Je vais finir par croire qu'elle n'existe pas en Angleterre, comme aux États-Unis.
Néanmoins, contrairement à "L'évasion de l'orpheline Clémentine" , au moins, il y a un fond dans cette histoire, qui lui est très intéressant. le travail sur les personnages est présent, même si tout le monde est soit "gentil" soit "méchant". Il y a pleins de petites particularités rigolotes, comme ces affreuses boites de fromaroni, ces briques oranges qui constituent les repas du père, Bob le blaireau toujours en mal de creusage, le TOC d'Osmund, enfant supra-méga-ultra-protégé à un point où il en a un trouble, les variations de recette de biscuits de Pauline, les effets personnels de Céla en papier journal ( ben oui, voyons!) et cet ascenseur qu'on peut littéralement transporter à bras d'homme ( hihihi).
Je mentionne également une grande qualité bien mise de l'avant dans cette histoire rocambolesque et totalement invraisemblable: L'empathie. Nous la percevront dans les petits gestes, dans les paroles, dans le soucis sincère des personnages les uns pour les autres, dans les sacrifices consentis par certains, pas les concessions faites par d'autres. Juste pour cette présence, le roman est un vrai petit bijou. On n'a jamais trop de romans sur l'empathie, sur le Vivre-Ensemble et la bienveillance.
Attention, divulgâches à venir.
Pour ceux et celles qui veulent connaitre la fin, sachez que si la fin est fort jolie, nous n'aurons peut-être pas la fin espérée pour les vils et incapables parents de Céla. Après avoir découvert que tous ces papiers qu'elle a signé et ses calculs effectués servaient à détourner les budgets municipaux ( et personne ne s'en ait plaint en trois ans??) Céla a décidé de réparer ses erreurs ( même si ce n'est pas évidement pas sa faute pour de vrai) en dérobant ses propres parents qui cachaient leur argent dans leur maison, dans des boites à chaussure. Les divers bâtiments ont donc retrouvé leur argent, dont les écoles, la bibliothèque, le théâtre, etc. Céla, dans un ultime élan de gentillesse, a eu l'idée de profiter de la catastrophe découlant de la statue de sa mère pour lui donner la tribune requise pour être recrutée par "Star en un clin d’œil". Évidemment, ni un ni deux, ses géniteurs sont partis avec leur boites à chaussures pleine d'argent ( désormais remplacés par des journaux teints en vert) pour l'émission, sans la moindre intention d'amener leur fille. On se dit que tant mieux, Céla pourra vivre désormais avec Harry et Pauline et avoir enfin la famille qu'elle mérite, mais c'est infiniment triste. Et de savoir que des parents comme les siens, totalement désintéressés de leur enfant, ça existe, c'est encore pire. Et puis, voler des fonds publiques, c'est sans doute plus grave dans ma tête d'adulte que ce le sera dans celle des jeunes lecteurs.
Vous trouverez au détour des pages de nombreuses illustrations dans le ton du roman.
Un roman touchant, dans un registre absurde pétillant, qui se termine sur une note moderne, avec cette famille atypique engendrée dans tout cette quête joyeuse peuplée de livres, de biscuits et de liens en train de se tricoter. Je suis bien heureuse d'avoir enfin un roman de cette autrice mainte fois saluée dans mon répertoire, qui le mérite bien.
Pour un lectorat intermédiaire du troisième cycle primaire, 10-12 ans +
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Créée
le 8 juil. 2024
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