Parfois, par un curieux hasard, un livre croise notre regard. Ce jour là, le mien s'est posé sur cette couverture anthracite sertie de bleu où j'ai lu « Cocteau, La voix humaine ». Après quelques secondes j'ai retourné ce petit ouvrage afin d'y lire les prémices d'un synopsis. A cet instant, les larmes me sont montées au visage, « une femme seule dans une chambre en désordre téléphone à son amant qui vient de la quitter pour une autre », à la fois troublée et déconcertée par la simplicité de cette phrase qui révèle pourtant une vérité bien tragique. La ligne suivante désigne d'ailleurs cette histoire comme « tristement banale ». A cet instant, j'ai voulu reposer cet ouvrage, contrariée par ce mot « banal », comme si la banalité pouvait entrer par effraction dans la douleur afin de la réduire à quelque chose de trivial.
Pourtant, à la lecture de cette pièce, j'ai compris que cette histoire était en réalité d'une banalité affligeante. N'avons-nous jamais été cette femme blessée, cette femme en pleure qui tente de récupérer son amant perdu, cette femme en pleurs qui tente de masquer sa douleur derrière une ironie apparente, derrière un mépris flagrant ? Et bien, pour une majorité d'entre nous, oui. Et c'est ça qui fait la force et la cruauté de cette pièce. Cocteau nous renvoie en plein visage notre attitude passive et larmoyante. Au départ, j'ai lu cette pièce avec une distance apparente, mais petit à petit, j'ai réalisé que moi-même, j'avais été cette femme et ce livre m'a paru d'autant plus douloureux à lire que j'avais l'impression d'assister à ma propre vie. Impression que partageront tous les autres cœurs brisés de ce site.
En ce qui concerne la pièce en elle même, même s'il s'agit d'une conversation, nous sommes en présence d'un monologue puisque nous n'entendons pas les répliques de l'amant. Nous pouvons seulement les deviner à la vue des réponses de la jeune femme dont on ignore tout, ce qui permet une identification plus aisée. Dans ce monologue, le personnage se trouve dans une oscillation constante entre différents sentiments que sont l'abattement, la rage, la haine, le mépris mais aussi une profonde tristesse et une profonde impuissance. Ce livre pourra d'ailleurs poser problème à certains qui verront dans la pièce de Cocteau une vision de la femme soumise qui fait tout pour récupérer son amant quitte à perdre en fierté. Cependant, c'est paradoxalement en se rabaissant et en cherchant à le reconquérir qu'elle se montre supérieure à son amant et gagne en dignité. Dignité certes fragile mais qui dans une certaine mesure se montre rassurante quand le téléphone se coupe et qu'elle se retrouve seule, seule avec une simple voix, sa propre voix.