non-livre

Lire cette édition de « La volonté de puissance » est profondément frustrant. En effet, j'adore Nietzsche et je voulais finir sa bibliographie par ce fameux non-texte qu'il n'a pas réellement écrit. Et il est là le problème, c'est que ce texte soit édité. En fait La volonté de puissance est avant tout un brouillon pour l'Antéchrist (le premier Nietzsche que j'ai lu, la boucle est bouclée) et ensuite on a tenté de manipuler ce brouillon pour en faire autre chose.

Or l'édition présentée ici par Gallimard dans sa, d'habitude, très bonne collection tel, est la version la plus complète de la volonté de puissance, mais donc également la plus fausse vu qu'elle compile toutes les modifications apportées au texte. Et là c'est très frustrant car il n'y a aucune note. C'est la première fois que je vois du Nietzsche sans note, alors que là clairement il fallait. On a juste une petite référence à la fin de chaque aphorisme, mais jamais on ne comprend à quoi elle correspond.

Donc on n'a aucune idée de ce qu'on lit. Est-ce-que cet aphorisme est bien de Nietzsche ? est-il tronqué ? retouché ? inventé ? Jamais le lecteur n'a la réponse et donc on lit sans trop savoir si c'est du lard ou du cochon. Ce qui fait que ça n'a même pas l'intérêt de se dire qu'on est en train de lire un plan de travail pour l'Antéchrist, puisque c'est un faux.

Après il y a des erreurs factuelles qui me surprennent chez Nietzsche, comme un contre-sens total des travaux de Darwin qui ne disait absolument pas que les plus forts survivaient. Et là la question se pose, l'erreur vient-elle de Nietzsche ? ou des autres qui ont retouché ?

Ceci dit il y a des idées intéressantes qu'elles viennent réellement de Nietzsche ou non. Le rejet de la science qui ne serait qu'un autre nihilisme puisqu'elle consisterait à dire que ce que l'on voit, que l'on monde en face de nous n'est pas réellement le vrai monde, qu'il y a plus...
Il y a tout un passage qui fait penser à du Wittgenstein avant l'heure où il décortique la forme "Cogito ergo sum", mais j'avoue préférer Wittgenstein qui me semble plus rigoureux.

Il y a bien quelques formules qui méritent le détour, mais je ne suis pas sûr que ça justifie le casse-tête mental et la frustration extrême de savoir qu'on lit quelque chose dont on est incapable de savoir si c'est vrai ou pas.

Reste que j'aime bien la phrase qui conclut le livre

Une société qui, pour satisfaire son instinct, répudie définitivement la guerre et la conquête, est en décadence ; elle est mûre pour la démocratie et le gouvernement mercantile... Dans la plupart des cas, il est vrai, les assurances de paix ne sont que des stupéfiants.

Ce qui va de pair avec quelques pages auparavant une démonstration que les vertus existent uniquement pour des raisons économiques afin que les gens fassent mieux leur travail en rejetant car immorales des considérations peu rentables.

Je lirai sans doute un jour le second tome... mais l'édition de ce texte m'a profondément frustré et donc j'ai l'impression d'avoir quand même perdu mon temps.