La guerre (de Troie) n'aura pas lieu (dans ce tome)

La volonté de sa battre est le 3e tome de la saga Terra Ignota, par l'autrice Ada Palmer. Comme avec le précédent tome, l'histoire s'inscrit dans la suite direct des précédents tomes sans interlude. Nous sommes donc toujours en 2454, dans un monde où la capacité à se rendre n'importe où sur le globe en quelques minutes rend le concept d'état nation caduque ou presque. Ceci couplé à l'interdiction de parler de religion en groupe (suite à une guerre de religion ayant bien failli détruire l'humanité) a permis une paix durable.


L'humanité est depuis ré-organisé en Ruche, 7 grandes nations non géographique d'humains, que l'on rejoint si l'on se retrouve dans les valeurs portées par la ruche. Chaque ruche à son mode de gouvernement, ses lois et son système juridique. On peut aussi ne rejoindre aucune ruche et devenir un hors ruche, tenu simplement de respecter les 8 lois universelles (hors ruche droit noir) ou ces 8 lois et quelques autres de son choix (hors ruche droit gris ou droit blanc).


L'histoire nous est toujours narrée par Mycroft Canner, un servant (un criminel qui s'est fait exclure du système des ruches/hors ruches), caste d'esclave libre qui doivent se mettre aux services des autres pour accomplir des taches plus ou moins ingrates en échange de nourriture ou de lieu pour dormir. Mycroft semble être « le roi des servants », ayant l'oreille de tous les puissants de ce monde.


ATTENTION SPOIL DES PREMIERS TOMES


Dans les 2 premiers tomes, nous avions une description détaillée de ce système de ruches. Nous apprenions alors que la paix n'était qu'artificielle, préservée par des systèmes d’assassinats complexes, censés résoudre des situations de crises par effet ricochet (le décès d'untel entraînera la démission de tel autre qui refondera tel institution, rendant la paix possible). Le système est géré par un bash d'Humaniste (une des ruches), qui répondait au président des Humanistes validant les assassinats. Les ruches Mitsubishi et Européens vont se joindre à ce système, ajoutant au dilemme moral une composante de corruption dans ce système. Les mitsubishi ayant par ailleurs débuté une sorte d'OPA agressive sur les autres Ruches en y plaçant des enfants qui devront leur rester fidèle malgré leur adhésion aux autres ruches.


On apprenait également l'existence de Bridger, un jeune garçon qui semblait crée de toute pièce, capable des plus grand miracle, redéfinissant les limites physiques de notre monde. La question de comment gérer cela dans un monde où parler de religion est interdit était assez problématique.


Nous apprenions également que la Ruche Utopiste, dont l'ambition est de coloniser les étoiles, était inquiète de la menace grandissante que constitue une potentielle guerre et que le risque grandit à mesure que l'on attend. Selon eux, il faudrait donc en provoquer une le plus vite possible, afin de purger la pulsion de violence de l'humanité sans provoquer sa destruction (ce qui risque d'arriver si on retarde cette guerre). Mais ce plan a été mis à mal par la série de meurtre de Mycroft qui a eu pour dégâts collatéraux d'éliminer les principaux conspirateurs de ce plan.


Enfin, nous apprenions que dans ce monde où le genre, le sexe et la religion sont devenus des quasi tabou, il existe une sorte de point aveugle, le bash de Madame, qui joue précisément sur ces codes genré, sexué et imprégné de religion et de philosophie des Lumières, et dans lequel trempent tous les dirigeant du monde. C'est dans ce bash qu'est né JEDD Maçon, qu'il a été lié à chaque dirigeant de Ruches par différents moyens et où il a été élevé de tel façon qu'il est à présent persuadé (et peut être l'est-il vraiment) qu'il est une divinité d'un autre univers, invité par le Dieu régissant notre univers à venir converser avec lui en s'incarnant dans JEDD maçon.


FIN DES SPOIL DES 2 PREMIERS TOME
DEBUT SPOIL 3E TOME


La volonté de se battre commence par la citation de Hobbes dont est tiré ce titre



«  La Guerre ne consiste pas seulement en effet dans la Bataille ou
dans le fait d’en venir aux mains, mais elle existe pendant tout le
temps que la Volonté de se battre est suffisamment avérée ; la notion
de Temps est donc à considérer dans la nature de la Guerre, comme elle
l’est dans la nature du Beau ou du Mauvais Temps »



C'est de cela qu'il va être sujet dans ce 3e tome : un long prélude à la guerre. Car, même si on l'attendait à l'issu du 2e tome, la guerre (de Troie) n'aura pas lieu (dans ce tome). Au contraire, on va plutôt explorer, à l'instar des 2 premiers tomes, ce qu'il se passe dans une société qui n'a pas connu la guerre depuis 3 siècles et qui la voit poindre. Comment la nature humaine, comment une société qui a évolué pour de plus se laisser influencer (officiellement) par la religion, comment une société qui a atteint tant de complexité dans sa conception de la justice ou du gouvernement va gérer une guerre au niveau mondial.
C'est la grande force de cette saga : nous ne sommes pas dans de la SF hard tech, mais dans de la socio-philo-SF. En effet, ce ne sont pas des avancés technologiques qui façonnent ce nouveau monde (du moins ce n'est pas le cœur de l'ouvrage) ; mais bien comment une société qui a atteint certains objectifs affichés sur le plan sociologique (s'affranchir des religions, du sexe, des nations, du genre...) va gérer des problèmes complexes sans les outils imparfaits que notre grille de lecture du monde actuel permet.
Ce qui m'avait ennuyé dans les 2 premiers tomes prend alors tout son sens ici : la convocation des grands penseurs des Lumières, an particulier Hobbes dans ce tome, vient éclairer comment notre société peut analyser ce monde futur en théorie parfait à la lumières des ces réflexions du 18e siècle.
On voit ainsi comment les 8 lois de bases de ce monde ont façonné l'univers, réel tour de force de l'autrice qui parvient à insuffler cette philosophie dans cet univers futuriste.


La volonté de se battre va donc nous présenter comment ce monde va devoir faire face à la guerre et choisir entre 2 sociétés possibles.
D'un côté, Ojiro Sniper qui propose de maintenir le système actuel, imparfait mais le meilleur possible. La question d'un moindre mal nécessaire va être central dans le monde qu'il propose : qui refuserait de sacrifier quelques individus pour préserver l'humanité toute entière ?
En face, JEDD maçon affirme qu'un monde où la mort de certains est nécessaire ne peut être bonne. Il propose donc de refondre toute la société en en prenant la tête, sans savoir la forme que prendra sa société : une utopie pacifique ? Une tyrannie absolue mais où il n'y aura pas de mort ? Est-on près à signer aveuglement pour rejoindre un monde au prétexte qu'il sera moralement pure ?
Au milieu se trouve le personnage d'Achille, issu du sacrifice de Bridger qui s'est incarné dans ce héros, seul être quasi humain à avoir une expérience de la guerre et pouvant donc en expliquer les tenants et aboutissants à une humanité qui se prépare à l'inconnu.




FIN DES SPOILS




On va donc explorer les limites morales que propose chaque camps, comme nous y avait préparé le personnage de Mycroft que l'on fini par apprécier malgré l'horreur de ces actes passés. Comment va-t-on se positionner par rapport aux différents monde que nous propose les personnages ? Nous sommes en plein dans le Terra Ignota, cette zone grise du droit et de la moral. Quel sacrifice seront nous près à consentir pour le bien commun ? Que sommes nous près à croire, peut-on réellement se passer de religion quand notre humanité résident bien souvent dans notre capacité à espérer un meilleur futur ?
C'est tout cela qu'Ada Palmer nous propose s'explorer dans ce 3e tome. Pour cela elle convoque avec brio les penseurs du 18e siècle, parfois littéralement en leur donnant directement la parole et brisant le 4e mur.
Mais elle ne se contente pas de cela, elle propose au réécriture de l’Iliade (on avait entraperçu que ce sujet lui tenait à cœur dans les précédents tome). Reste à savoir qui seront les troyens et qui seront les grecques !


Ce 3e tome est donc une vraie réussite, parvenant à nous maintenir en haleine sur ces 450 pages avec la guerre en ligne de mire qui n'arrive jamais vraiment. On assiste à un véritable renouveau de la science fiction, en délaissant un peu la technologie pour regarder du côté de la philosophie ou de la sociologie (rejoignant un peu Dune ou Fondation en ce sens).


Si on doit trouver une critique, on pourrait évoquer l'absence de diversité ou la caricature de certains personnages ou groupes de personnage dans un roman qui veut parler de l'avenir de toute l'humanité (on reste globalement avec des personnages très européens ou américains, et les asiatiques sont assez caricaturale, leur ruche étant une « démocratie actionnariale », bref des traders).
On peut également déplorer le peu d'actions « physiques », même si pour ma part j'ai eu mon lot de frissons avec les réflexions que nous pousse à avoir l'autrice.
Ou encore certains personnages qui avaient disparu depuis longtemps qui reviennent dans ce tome, et que l'on a un peu oublié au vu de la profusion d'autres personnages apparus depuis (faisant perdre en puissance l'intensité de leur retour dans l'histoire).


Mais au final, on se dirige vers un très grand cycle de science fiction, proposant un vrai renouveau du genre par son approche moins « sciences dures » et plus « sciences humaines », permettant de réfléchir à notre monde au travers de cette possibilité de futur.


J'ai de grand espoir (et donc de grande crainte d'être déçu) avec le derniers tome, « peut-être les étoiles », qui devrait conclure cette saga assez grandiose pour l'instant. Mais Ada Palmer nous montré sa capacité colossale de recentrer son récit tout en élargissant notre champ de réflexions. L'utopie d'un final en apothéose n'est donc pas si irréaliste !

Homegas
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le 1 sept. 2021

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