Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
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le 1 oct. 2017
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La Zone mêle littérature et photographie, documentaire et fiction, sans que l’une de ces deux arts soit systématiquement associée à l’une de ces deux ambitions. De même, si on peut imaginer que Guillaume Herbaut se soit chargé de l’image, et Bruno Masi, du texte, rien ne l’indique explicitement. Ça doit être ça, un « projet transmédia ». (Et au passage ça doit bien emmerder les bibliothécaires, et démanger les os de Melvil Dewey.)
Donc, dans la théorie, c’est intéressant, ambitieux, novateur, à la croisée des chemins, tout ce qu’on voudra. Les deux auteurs ne s’intéressent pas à la catastrophe originelle, à peine évoquée, mais à ce qui peut continuer à exister dans ce gigantesque sarcophage que constitue désormais Tchernobyl. La zone du titre, c’est peut-être celle qui distingue l’existence de la vie, ou la vie de la survie.
Dans la pratique, c’est décevant. D’accord, le propos des photographies est plutôt clair, leur angle d’approche se tient. Certaines de ces vues désolées ont un pouvoir d’évocation évident, dans lesquelles même les vivants ont l’air morts, figés à la fois dans l’espace et dans le temps. À travers les détails, les vies minuscules, les histoires qu’ils ont saisis, les auteurs semblent avoir voulu donner une portée universelle à leur travail, mais cette ambition se heurte à cet hermétisme qui accompagne souvent l’intellectualisation à outrance du réel.
C’est notable dans les photographies – pourquoi avoir multiplié les clichés de portes fermées ou de haillons boueux dans les dernières pages ? – et plus encore dans les textes, fragments de récits dans lesquels les voix s’entremêlent, et dont l’esthétique nuit à la clarté sans profiter à la poésie. Pour avoir une idée du style : « J’avais peur, la zone est comme une peau criblée. La véhicule a roula dans Ivankov mais je en sais plus combien de temps. / Devant le champ blanc, je pense à Rodrigo Garcia, à ton corps sur la moquette, les cheveux sur la peau blanche » (p. 89). Un peu comme si une annonce immobilière sur internet comportait comme uniques illustrations une photo du placard à balais, une autre de la cuisine et un gros plan sur le plafonnier du salon – sans que l’on sache s’il s’agit d’une villa à vendre ou d’un meublé à louer.
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Créée
le 15 janv. 2017
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