Lake Success, #lecteurs.com


Héros ou lâche ? Barry, dans ce roman mille-feuilles, est tantôt l’un, tantôt l’autre et parfois les deux en même temps. Jusqu’il y a peu à la tête d’un fond spéculatif américain pesant près de 2,5 milliards de dollars, ce pavaneur américain qui n’existait que par ce qui s’exhibe, bascule dans une nouvelle dimension, une autre réalité. Sur un coup de tête, un coup de semonce et un coup au cœur, Barry décide de tout larguer et de s’embarquer pour un road-trip en autocar à travers l’Amérique profonde. Plongée au cœur d’un cortège de pauvretés souvent solidaires.
Abandonner toute sa richesse pour un retour mythique à Lake Success, lieu refuge enraciné dans sa mémoire sous toutes les couches d’exploitations et d’ingratitudes qui ont soudé sa vie… est-ce un acte héroïque ? profondément humanitaire ? digne d’admiration et de respect ? Pas tout à fait. Barry part sans son portefeuille, sa carte de crédit mais emporte avec lui un faux passeport et une valise de montres précieuses, toutes hors de prix mais négociables, même à la perte s’il échet. C’est que Barry veut fuir. Le FBI qui le talonne pour délit d’initié et sa femme, riche, belle, encore aimée peut-être mais mère de leur enfant autiste avec qui Barry, maître du Monde de la finance, n’a jamais su échanger. Barry fait-il front face à l’adversité ou fuit-il lâchement ? Subtile ambivalence soigneusement entretenue par Gary Shteyngart qui distille dans son livre l’âme d’une Amérique douloureuse, pauvre et déboussolée par la possible arrivée à la Maison Blanche d’un fantoche sans morale et compétence pour diriger le pays.
Le personnage de Barry est inquiétant : sommes-nous à ce point menés par le nez par des spéculateurs sans morale ? Mais il est drôle, presque craquant lorsqu’il caricature à travers sa passion des montres et ses incroyables maladresses relationnelles, son incapacité à mesurer l’importance du temps à passer avec ceux qu’on aime et l’existence propre, souvent non conforme à nos rêves, que chacun a le droit et le devoir de défendre. Il est touchant enfin par les efforts qu’il déploie pour accéder à sa rédemption et, enfin, permettre l’épanouissement des autres. Et même si les problèmes moraux de la Justice restent sans solution satisfaisante, Barry, à travers ce road-trip, nous donne de voir et mieux deviner une galerie émouvante de personnages oubliés, laissés pour compte alors qu’ils constituent le ciment d’une nation américaine donnant de croire, encore un peu, en l’humanité.
Un passage particulièrement émouvant est la « prise de parole » de Shiva, ce fils autiste dont il a fallu éloigner le père pour qu’il grandisse, qui lors de sa bar-mitsva (rite juif du passage de l’enfance à l’âge adulte) aura des mots insoupçonnés pour ce « papa-oiseau » qui toujours s’envolait et s’éloignait de lui.
Un livre de réalités brutes, duperies, disputes, absences, fuites et ruptures tout autant qu’une histoire de refondation, renaissance et ouverture à un avenir digne de l’Homme.
Merci à Lecteurs.com et aux éditions de l’Olivier pour cette très belle découverte.

François_CONSTANT
10

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le 16 mars 2020

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