Remarquable bouquin que ce "Lanark" de l'Ecossais Alasdair Gray, chaudement recommandé par le regretté Iain Banks (un autre Ecossais et mon auteur favori). "Lanark" a été écrit sur une période de trente ans et se présente comme la biographie, à partir de 5 ans, d'un certain Thaw, artiste-peintre un peu raté qui finira sa vie dans des conditions tragiques. Le côté autobiographique n'est pas caché par l'auteur, lui -même excellent dessinateur et illustrant son livre.
Cette biographie ne s'arrête pas avec la mort du personnage, puisqu'une partie de l'histoire se situe dans un Enfer orwellien qui ressemble à une version dantesque de Glasgow. De même que le roman ne commence pas avec l'enfance du personnage puisque les chapitres sont chronologiquement mélangés . Ah, oui et les noms des personnages ne sont pas les mêmes d'un chapitre à l'autre... Comme vous voyez, ça se corse... :-)
J'avoue être bluffé par ce roman très, mais alors très, étrange, où les gens développent des maladies bizarres (comme avoir des écailles de dragon, ou des bouches qui poussent au centre de la paume...), où le temps est décimal ou aléatoire, la gravité peu constante, où notre héros, peintre contrarié dans ses amours, se retrouve, suite à une faute impardonnable, dans un monde en manque de lumière , où un capitalisme féroce et cannibale phagocyte les derniers endroits vivables. L'enfer de "Lanark" est celui que nous créons nous-même, le cannibalisme dont il parle est celui que nous pratiquons. Les sentiments qu'il évoque ressemblent aux nôtres, même quand ils semblent vulgaires ou peu glorieux. Le manque d'amour et la cupidité sont ainsi les forces obscures qui traînent l'univers vers le fond, semble nous dire Alasdair Gray, qui n'hésite pas à mélanger ses affects personnels et ceux de son personnage.
Roman complexe et partagé (dans le sens où un roman réaliste semble le disputer à une fable fantastique), "Lanark" est devenu une oeuvre culte quand elle fut publiée en 1981. Dans un chapitre, Thaw, rencontre son auteur Alasdair Gray. Il se plaint de sa vie à son créateur , tandis que celui-ci lui annonce comment finira le roman. C'est déjà ébouriffant en soi mais en plus Gray fournit, en plein milieu de son livre les notes de bas de pages qui expliquent son roman et ses références littéraires ou artistiques. Les éminences grises du monde universitaire peuvent remercier un auteur qui leur évite de chercher les sources....
Superbement écrit, surprenant, cryptique, à la limite du bildungsroman, de la SF et du fantastique," Lanark" est un livre magistral, rusé, pas toujours simple à lire, peut-être trop pessimiste et peu engageant au départ, mais qui fascine comme les chefs d'oeuvre savent le faire. Et il y a dans ses discours, politiques ou intimes ou déjantés, une touche d'universel qui est frappante. Il restera une des mes lectures marquantes de l'année et je le recommande aux intrépides, guys et guysettes!