Le banquier anarchiste, du paradoxe au pléonasme
On a pris pour habitude de considérer Fernando Pessoa comme un écrivain génial, doué, mais nous ne le considérons malheureusement pas encore, comme un philosophe. Le but de ce court essai est de montrer non seulement la pertinence de la pensée politique d’un tel auteur, mais également de rappeler le cadre philosophique conceptuel dans lequel il s’intègre en ré-investissant un problème classique de la philosophie.
Rappelons ici, en quelques mots, le propos de l’œuvre : un banquier se réunit avec ses amis pour festoyer, et à la fin du repas, le narrateur, un individu indéterminé qui s’exprime à la première personne[1] demande à son hôte, s’il est véritablement, comme il l’a entendu dire, un anarchiste.
S’en suit alors un long dialogue semblable à ceux que l’on a pu lire chez Platon où un personnage, le banquier anarchiste, justifie sa position éthique par un discours argumentatif et logique.
« Vous vous souvenez sans doute des difficultés, d’ordre logique, que j’avais rencontrées au début de ma carrière d’anarchiste pleinement conscient. Et vous vous rappelez la façon dont je les avai résolues, mais artificiellement, par le sentiment et non par la logique ? […] Quand j’ai finalement découvert la véritable méthode anarchiste, je les avais résolues pour de bon, c’est-à-dire par la logique […]. »[2]
Le banquier juge ici de la pertinence intellectuelle et de la cohérence de la position de l’anarchiste selon des critères logiques qu’il entreprend d’examiner, chemin faisant, au cours de la conversation. C’est précisément ce qui, semble-t-il, fait de cette œuvre un texte philosophique à part entière.
[1] « Nous finissions de diner. » « Je me tournais vers lui en souriant. »
[2] PESSOA F., Le banquier anarchiste, page 63, Titres, Christian Bourgois éditeur, 2000.