Le Bestiaire
Le Bestiaire

livre de Jean Giono (1991)

"Par ruse, et non par force, amis ! Mais qui me tue ? Personne !"

Giono était un beau, grand et invétéré menteur, ça on le sait. Tous, amis et famille, l'ont assez répété. Le planteur d'arbre ? N'a jamais existé. La cérémonie du serpent d'étoiles ? Probablement pareil. Au mieux, totalement gonflée. Les quelques éléments de sa vie parsemés dans ses livres sont à prendre avec d'extrêmes pincettes alors que d'autres, véridiques, les émaillent en souterrain. Son premier roman achevé, la Naissance de l'Odyssée, après tout, nous présente Ulysse comme un bon gros menteur. Les raconteurs peuplent ses livres.

Jean Giono, outre ses romans célèbres, c'est aussi toute une pléiade de chroniques, de petits récits contemporains, de caractères et d'articles. Ici c'est un assez court recueil de 19 textes dont l'écriture s'est étalée sur une petite décennie (1950-60).

Oh ! n'attendez pas un vrai bestiaire, la liste des animaux que Giono aurait côtoyé durant son enfance avec des petites anecdotes de foires, de courses ou de chasses (quoi que maintenant je regrette l'absence d'un tel ouvrage). C'est un bestiaire plus proche des fantaisies antiques sur les antipodes ou des codex orientaux du Moyen Âge : bêtes réelles mais clairement éloignées de leur/notre réalité ou bêtes imaginaires. On est loin d'Esope, des Fables, du Cortège d'Orphée d'Apollinaire ou même des bestioles fabuleuses de Borges. La bête n'est ici souvent qu'un reflet déformé de l'homme. Ca m'a fait essentiellement fait penser à du Juan Rodolfo Wilcock et son stéréoscope des solitaires.

Il y a donc beaucoup d'humour, de jeux de mots et jeux de proverbes, de références facétieuses semi-voilées, du pastiche quoi ! Tout ça frise parfois le surréalisme un peu forcé, l'exercice du canular à la Perec, ça tourne parfois à l'aigre et c'est par trop ancré dans sa modernité, fatalement un peu dépassée pour nous ; pourtant on reconnaît bel et bien toutes les marottes du petit Jean. Un de ces livres où l'on croit découvrir une nouvelle facette d'un auteur quand elle faisait sens tout du long. On se pose cinq minutes et ça coule de source.

Ma préférée est la Bestiasse : « Elle est imaginaire. Heureusement. [...] La proie se laisse faire ; mieux elle incite à faire, elle pousse à la consommation. Elle se réjouit d'être transformée en hachis parmentier, elle rigole de dégouliner en marmelade dans le gosier de l'animal. Elle se trouve finalement dans le ventre même de la bête, se recompose, reprend sa forme première (ne gardant de son aventure qu'une exquise sensation de jouissance à fleur de peau, mais carabinée) et poursuit ses occupations [...], les parois sont donc pratiquement inexistantes et ne gênent à rien les occupations de la victime : elle continue à aller au bureau, écrire et recevoir des lettres anonymes, s'enrouler dans le mensonge de la vie quotidienne, caresser sa femme (ou son mari), ou celle des autres (ou celui des autres), faire des enfants et même les défaire avec la loi, des guerres, des vaccins, des soins parfaits, prendre l'autobus, le métro, un taxi, le train pour Marseille, le paquebot pour New York, l'avion pour New Delhi, participer aux manifestations artistiques, politiques, polémiques, aller à la Mecque, à Rome, à Moscou, Jérusalem, enfin tout. »

Petit bonus mais pas des moindres, essentiel même, qui étend le jeu sur la culture : il y a, pour chaque texte, de petites 'marginalia' ; sortes d'apostilles griffonnées dans les marges {bien que repoussées à la fin dans cette édition] des citations sans rapport aucun, du moins apparent, avec le texte qu'elles accompagnent. Pareillement, il s'agit tout à la fois d'auteurs réels et imaginés, grands classiques, inconnus du Moyen Âge ou naturalistes, pour des citations réelles ou façonnées mais je n'irai, pour ma part, pas les décortiquer. N'allons pas tuer la bête.
Nushku
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le 6 nov. 2014

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