« Avec ses quatre dromadaires / Don Pedro d’Alfaroubeira / Courut le monde et l’admira. / Il fit ce que je voudrais faire / Si j’avais quatre dromadaires » : dans un monde parfait, les enfants chanteraient « Le Dromadaire » sitôt atteint l’âge de trois ans, et le dessineraient dès qu’ils sauraient tenir un crayon. (Pendant qu’on y est, dans ce pays de cocagne, la très chouette réédition du Bestiaire procurée par les Éditions Prairial, qui respecte les dimensions de l’original, avec des pages de 25 × 33 cm, coûterait dix minutes de salaire minimum.)
Qu’on s’entende bien : le Bestiaire de Guillaume et Raoul (1), œuvre collective dès sa parution, n’est pas spécialement un livre pour enfants (2) : aussi mirlitonesques que semblent les vers de ces quatrains – il y a aussi trois quintils et deux sizains –, il ne s’agit pas simplement de jouer avec la langue en faisait rimer « elle » et « sauterelle », « neige et Norvège ». Et aussi naïves que paraissent les gravures en regard de chaque poème, dans lesquelles il faut parfois chercher l’animal concerné comme on cherchait Charlie, elles ne sont pas des simples illustrations qui viendraient compléter le poème : le Bestiaire n’est pas que l’addition de textes et d’images.
Qu’on soit d’accord aussi : les textes du Bestiaire ne sont pas tous des chefs-d’œuvre de la poésie, ni ceux d’Apollinaire. (Je ne connais pas assez la gravure ni Dufy pour prendre ici l’image en compte.) S’ils montre beaucoup de liant, – notamment grâce au personnage d’Orphée qui fournit le sujet récurrent de certaines doubles pages, et son nom au sous-titre du recueil, – l’ensemble manque parfois d’ampleur, et les mots c’est déjà fini ? ou ce n’était que ça ? peut venir à l’esprit du lecteur.
Après ça, vous pouvez toujours faire fabriquer à vos enfants des tampons avec des pommes de terre coupées en deux et un Opinel, voir s’ils font les dromadaires aussi bien que Dufy.
(1) L’expression « le Bestiaire de Guillaume et Raoul » a un côté médiéval, non ?
(2) Je ne veux pas parler des poèmes « le Morpion » et « le Condor » figurant en annexes de la réédition de chez Prairial car supprimés – alors que « le Lapin » est passé, d’ailleurs.