Durant l’entre-deux guerres, le narrateur, surpris par une averse, trouve refuge dans un café de Vienne. Après s’être remis de sa douche froide, il s’aperçoit que l’établissement lui est connu. Il cherche dans les limbes de sa mémoire, s’irrite de voir ses souvenirs se dérober… Quand toute sa mémoire lui revint d’un seul coup !

Le café Gluck, qu’il fréquentait avant la guerre, est celui du bouquiniste Mendel, un petit homme, vieux, terne, pas de la première propreté, juif et qui était assis du matin au soir dans un coin à lire. La Terre aurait pu trembler sous ses pieds sans qu’il s’en aperçoive tant il était concentré sur ses lectures. Quand on parvenait à l’interrompre et à attirer son attention, le bonhomme se montrait intarissable : lorsqu’on le sollicitait, et quelque-soit le thème, il dressait immédiatement – grâce à sa prodigieuse mémoire – une liste de livres longue comme le bras de références bibliographiques avec titres, auteurs, éditeurs, années de publication et prix approximatifs. Le vieil homme avait sa petite notoriété dans Vienne. A tel point que le propriétaire du café Gluck prenait grand soin de ce client atypique, invariablement installé à la même table depuis trente ans. Le bouquiniste faisait partie de l’inventaire au même titre que les tables, chaises et percolateur.

Puis, un jour, la guerre éclata. L’euphorie des premières semaines s’estompa. Les prisonniers, les blessés, les morts… Les frontières qui se fermèrent de façon hermétique. Mendel, tout à ses livres, ne s’aperçut comme toujours de rien. Jusqu’au jour où la police vint le chercher : le vieil homme, enfermé dans son monde, expédiait des lettres en pays étrangers pour se plaindre de ne plus recevoir ses abonnements pourtant dûment payés. Dans le climat de suspicion de 1915, les autorités prirent cette correspondance ingénue pour des lettres codées à destination de l’ennemi.

Le bouquiniste fut jeté en prison et transféré dans un camp de prisonnier…

Zweig, en humaniste et antimilitariste notoire, revient dans cette belle nouvelle sur l’aberration de la guerre. La Première Guerre mondiale qui a bouleversé l’Europe en général et son Autriche en particulier. Stefan Zweig a vu la barbarie, visité les camps en tant que journaliste. Ce témoin privilégié n’eût de cesse d’appeler à la paix, de montrer aux hommes que personne ne désirait ce conflit absurde. A travers l’exemple de ce bouquiniste de génie, cet homme simple et sans animosité aucune, il montre une nouvelle fois l’ineptie de la guerre et les ravages sur l’être humain que celle-ci ne manque d’engendrer.

Une nouvelle fort bien écrite, fort bien construite, mais moins passionnante qu’à l’accoutumé. Le portrait de ce vieil homme au cerveau irrémédiablement détruit par la guerre est finalement assez froid.
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le 8 oct. 2014

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