Tout commence lorsque Sherman McCoy, jeune et riche boursier de Wall Street, se trompe de sortie d'autoroute un soir où il est allé chercher sa maitresse à l'aéroport, il se retrouve alors au coeur du Bronx. Commence pour lui une longue descente en enfer qu'il ne s'était jamais imaginé, même dans ses pires cauchemars pour une affaire qui va prendre des proportions énormes.
C'est ce destin-là que le journaliste Tom Wolfe met en avant, un courtier en bourse blanc vivant le parfait rêve américain, marié, père de famille, voyant une belle et discrète maitresse et vivant dans les quartiers très aisés de New York. Lorsqu'un grain de sable viendra s'introduire dans cette belle mécanique, ce sera la descente aux enfers et là, Wolfe va, avec cynisme et talent, décrire la "poubelle new-yorkaise", ses politiques véreux, la justice, le communautarisme, la presse, la haute bourgeoisie, Wall Street, ou encore la population suivant bêtement le premier bon orateur et récupérateur. Tout le monde en prend pour son grade et plus généralement, c'est une société individualiste, hypocrite, raciste (dans tous les sens), pourrie par l'argent, corrompue et vivant uniquement pour les profits personnels, qu'il met en avant.
S'il commence par doucement poser le cadre de son récit et la vision d'un McCoy vivant dans sa bulle, peu à peu il va mettre en place les rouages de son récit, dresser les éléments qui vont peu à peu l'entrainer en enfer. La construction du récit est remarquable, notamment lorsque les nouveaux personnages et éléments vont commencer à s'incruster dans l'histoire et la vie de Sherman "Masters of the Universe" McCoy. L'une des forces de Wolve, c'est d'abord de dresser un portrait guère reluisant de ce courtier puis, de nous y attacher et de créer de l'empathie pour lui plus il se retrouvera piégé dans une affaire qui le dépasse totalement. On est obligé de commencer par le détester, c'est l'archétype du golden boy vivant dans son monde et profitant des autres, donc c'est d'abord avec une certaine jubilation qu'on le voit tomber de si haut. Pourtant, en y analysant toute la faiblesse, la déshumanisation et l'individualiste tournant autour de lui plus on avance dans cette affaire, on finit par s'y attacher, notamment lorsqu'il se rendra compte dans quel pays, et système surtout, il vit et qu'il verra, comme nous, ce qu'est vraiment la nature humaine.
Ce que j'ai adoré à la lecture de ce bûcher des vanités, c'est la façon dont Tom Wolfe nous immerge dans son bouquin, provoquant un grand huit émotionnel, à l'image de celui social pour McCoy. Plus le livre avançait, plus j'ai eu l'impression d'être au côté de McCoy et d'y côtoyer les mêmes personnages et la même ambiance pourrie où derrière chaque sourire hypocrite se cache un enfoiré dont l'ambition est de profiter de McCoy pour ses propres intérêts. La lecture est intense, Wolfe ne commet guère de fautes et tout semble bien ficelé, sachant passer d'un personnage à un autre, en faire disparaitre puis réapparaitre certains sans nous perdre mais avec une vraie fluidité. Il s'attache aussi énormément aux détails, ce qui permet de mieux faire ressortir l'ambiance du bouquin, notamment pour les séquences dans les tribunaux.
Wolfe capte parfaitement bien l'urgence du moment, la rapité de cette descente aux enfers et il frappe directement là où ça fait mal. Il use d'un style assez féroce, très cynique et sans concessions, sans pour autant tomber dans la caricature tandis que la bassesse de la population, l'hypocrisie générale et dans l'ensemble tout ce qu'il attaque, prend encore tout son sens aujourd'hui, à l'heure où la société est toujours plus individualiste, hypocrite et où l'on passe de maitre du monde à paria de la société à vitesse éclair. Dans le même temps il n'essaie pas de faire le moralisateur mais de mieux mettre en avant sa vision du monde où il n'y a guère de "bonne personne", créant par la même occasion un sentiment dérangeant. Si le livre est dense, il n'est jamais ennuyant et se lit assez rapidement tant il parvient à nous imprégner de cette atmosphère et de nous joindre à sa critique féroce, débordant d'idées et magnifiquement orchestrée.
C'est dans un monde bercé d'illusions que le journaliste Tom Wolfe tape fort et livre un best-seller dès son premier essai. Sans aucune concession il dresse un portrait féroce et cynique du monde à travers la "poubelle new-yorkaise" et ce, qu'importent les origines ou la classe. Brillant.