Quand j'étais adolescent, je suis tombé à la campagne sur une étagère de Brigade mondaine appartenant à un oncle. J'avais dévoré ça très vite, époustouflé par le propos scabreux, par la violence et sans doute aiguillonné par la folie hormonale de ma jeunesse triomphante. J'ai dû en lire une bonne douzaine, les trouvant à la fois excitants et malsains. Et puis, curieusement, je les ai oubliés. Mais alors complètement. Comme un souvenir honteux.
Il y a quelques jours, à la lecture d'un article dans Schnock, tout ce que j'avais oblitéré de ma mémoire se dévoila. L'envie de relire ça, la curiosité de retrouver cet interdit, voir si ça fonctionne toujours autant après... quoi? 30 ans?
Je commence par l'un des tous premiers, le deuxième pour tout dire, paru en 1975. Et là, c'est le drame, je tombe des nues : c'est très mauvais. Psychologie de comptoir, homophobie éhontée, moralisme hypocrite sont les gros points noirs de ce numéro.
Le style a au moins l'avantage d'être simplissime. C'est heureux, parce que s'il avait fallu se coltiner un style pompeux, j'aurais eu peine à finir. Non, les phrases sont courtes ; beaucoup de dialogues mettent du dynamisme dans le récit ; le rythme est vif : le tout n'est pas désagréable à lire (manquerait que ça !).
Par contre, cela reste très limité intellectuellement. Paresseux, facile, mal construit, j'ai envie de résumer par le terme enfantin. Le récit, la psychologie des personnages sont étoffés de façon très sommaire, médiocre. À se demander si l'auteur n'est pas très futé ou alors très très jeune. Le portrait que le roman fait du monde des marchands d'armes et des travestis parisiens est si peu réaliste (alors que le réalisme est a priori l'argument majeur de la série !) tellement bourré de clichés que, très vite, on est tenté sourire, navré.
Forcément, les conditions d'écriture, la médiocrité des ambitions de l'auteur et de l'éditeur ne se cachent pas des masses. On peut même dire qu'ils se foutent royalement de maintenir un haut niveau de vraisemblance. Ce qui semble compter, c'est bien plutôt de juger moralement les travestis, les homosexuels en général, décrits comme des êtres dégénérés, désaxés, malades quand ils ne sont pas en plus masochistes. A leur décharge, tous les personnages sont maladroitement et bêtement cadenassés dans leur catégorie, tous limités, circonscrits à un statut et des caractéristiques établies une bonne fois pour toutes, aliénantes et identificatrices dont il est inconcevable de s'émanciper : les femmes sont soit salopes, libérées, soit parfaites et fidèles épouses pendant que les maris sont volages ou pervers ; les flics sont franchouillards ; Corentin, le héros est un super mâle, machiste, charismatique, séducteur, intelligent (vite dit, « intelligent » selon l'idée que l'auteur se fait de l'intelligence, donc dans un cadre restreint) ; les patrons patronnent, mi-paternalistes, mi-magouilleurs.
Bref, l'ouvrage est lu en moins de temps qu'il en faut pour l'écrire. Je ne sais si je vais réussir à en lire beaucoup. Je m'attendais à largement mieux. J'espère que cette pauvreté n'est due qu'aux atermoiements de début de série et que des ouvrages plus récents ont un peu plus d'envergure. En tout cas ce deuxième numéro est franchement mauvais.