"Mignon", c'est le mot qui m'est venu spontanément à l'esprit une fois ce roman terminé.
"Mignon" étant à mes yeux un qualificatif insuffisant pour faire entrer ce roman épistolaire dans mon panthéon littéraire personnel, il rejoindra donc la foule des lectures agréables, des bons moments de détente et des comédies qui donnent le sourire, catégorie tout à fait respectable.
1946, Angleterre. Une Angleterre victorieuse mais encore traumatisée par la Seconde Guerre mondiale. Juliet, jeune chroniqueuse et auteur londonienne, est entraînée par hasard dans une correspondance de plus en plus assidue avec une poignée d'insulaires de Guernesey qui - avec leurs voisins de Jersey - ont été les seuls Anglais à connaître l'Occupation allemande* pendant toute la durée du conflit. Au fil des échanges, Juliet va s'attacher à leurs différentes personnalités et à leurs histoires particulières, avant de finalement les rejoindre sur leur île.
Les nombreux personnages du roman sont notamment liés par la lecture, étant tous membres éminents du "Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey", tout un programme, non ? (Ledit "Cercle", soit dit en passant, a d'ailleurs été ridiculement saccagé par le traducteur - pour une raison obscure et discutable - ce qui vaut à la version française ce titre si peu poétique et si peu fidèle à l'oeuvre : "Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates".)
Alors, je vous rassure, aucun des personnages du roman n'est patatophile au point de délaisser une bonne réunion littéraire. Voyons donc plutôt dans ce raccourci une allusion au contexte de guerre du récit. Car, oui, nous avons beau être en 1946, il va tout de même être beaucoup question de la guerre et de ses souffrances. Je tire d'ailleurs mon chapeau aux deux auteurs qui ont réussi à faire d'un roman de guerre un roman plus rose que noir.
En effet, avant la lecture du "Cercle littéraire des amateurs de patates", j'ignorais que la Seconde Guerre Mondiale pouvait se prêter à une littérature "légère" et c'est sans doute à cette méconnaissance que je dois de lui attribuer finalement une note plutôt moyenne, bien que j'aie passé un bon moment, je le précise à nouveau. Un peu moins de bons sentiments, un peu plus de profondeur et une action un peu moins prévisible auraient sans doute favorablement modifié mon jugement et auraient contribué à rendre l'ensemble un peu plus crédible. Oui, je l'avoue, pour moi la Seconde Guerre mondiale est un thème tout particulièrement crédible et concret, c'est pour ça que j'ai eu un peu de mal avec cette atmosphère "Petite maison dans la prairie" et "Anne et la maison aux pignons verts" - romans que j'adore au demeurant.
Sur la structure narrative, j'ai tiqué à quelques reprises, particulièrement en ce qui concerne la correspondance entre Juliet et Mark, son prétendant. Se pourrait-il que dans le Londres de 1946 le facteur sonnât toujours cinq fois ? Je m'explique : quand un auteur choisit la forme épistolaire, il renonce fatalement à toute instantanéité, surtout quand on n'est plus à une époque où il suffisait de siffler son valet ou un commissionnaire pour faire porter son courrier, puis de le faire poireauter dans une antichambre à "attendre la réponse". Mrs Shaffer et Barrows pourraient donc m'expliquer par quel prodige Juliet et Mark peuvent s'échanger dans la même journée des billets de quelques mots pour répondre à une simple question, ou de quelques points d'exclamation pour s'indigner d'une opinion, le tout avec une célérité à rendre jaloux une horde enragée de sms !? En fait, j'aime quand un auteur assume ses choix jusqu'au bout, contraintes incluses.
Bien, je m'arrête là, je ne veux surtout pas que vous me trouviez sévère quand je ne veux être que sincère. Au final, je ne me serai pas ennuyée et j'aurai même ri, ce qui est toujours bon à prendre, donc si ce livre passe à votre portée, laissez-vous tenter. Les voies du succès éditorial sont décidément impénétrables. Pourvu qu'elles le restent encore longtemps et continuent à nous surprendre. Sans surprise, que deviendrait la lecture... et la littérature ?
*Si les Anglais n'ont pas été envahis par l'armée allemande, ils ont néanmoins connu de rudes heures sous ses bombardements nourris ; avoir confronté le vécu des Londoniens à celui des insulaires anglo-normands est l'un des aspects les plus intelligents du roman.