J'ai résisté longtemps à l'appel de Outlander. Je suis peut-être une petite snob, mais quand j'ai vu le livre et la série prendre de l'ampleur dans mes réseaux, mon premier réflexe a été : vade retro Satanas. En fait, plutôt que du snobbisme, c'est la peur d'être déçue qui me fait appréhender les lectures trop encensées, je suis bien placée pour savoir que quand on adore quelque chose très très fort, on n'est pas très objectif-ve et du coup, d'autres personnes peuvent être déçues en n'attendant pas la même chose que nous d'un livre, d'une série ou d'un film.
Bizarrement, donc, ce n'est qu'en lisant enfin quelques avis divergents que j'ai commencé Outlander, en VO, et je ne regrette pas. Cependant, je trouve que ce premier tome est loin d'être exempt de défauts, que je ne vois que trop peu soulignés, donc j'ai envie d'en parler ici.


A noter : je n'ai vu que le premier épisode de la série, avant de commencer ce premier tome, je ne peux donc comparer qu'avec ce menu échantillon, mais sûrement mes prochaines critiques permettront une comparaison plus approfondie entre les deux supports.



Ce que j'ai aimé (commençons par l'agréable)



En grande dingue de l'Ecosse et des Highlands, que j'ai visitées deux fois, je n'ai évidemment que pu tomber amoureuse du contexte dans lequel se retrouve plongée Claire, de l'autre côté de Craigh Na Dun. Entre les collines, les lochs, la bruyère et l'accent délicieux des Ecossais, j'avais l'impression d'y être à nouveau, et vraiment envie d'y retourner. L'imagerie écossaise est parfaitement évoquée, c'est saisissant.
Première comparaison saisissante entre le 1er épisode de la série et mes premières pages de lecture : la voix narrative de Claire est beaucoup plus intéressante à l'écrit, je trouve. Sa voix-off dans la série m'avait semblé un peu geignarde, trop solennelle, je n'avais pas accroché. Dans le livre, je l'ai trouvée plus incisive, plus drôle, beaucoup plus attachante finalement, peut-être parce qu'elle me ressemble plus. Son humour pince-sans-rire m'a tout de suite plu et c'est ce qui m'a donné envie de continuer, malgré le fait que les premiers chapitres du livre sont très très semblables au premier épisode de la série. (la comparaison s'arrête là puisque je n'ai pas vu d'autre épisode, allez bye)
J'ai trouvé que les personnages étaient bien dépeints, intéressants dès le départ. Comment ne pas succomber au charme désinvolte de Jamie Frasier, comment ne pas être intrigué par le duo des frères MacKenzie, comment ne pas avoir envie de passer un après-midi à observer Mrs FitzGibbons à l’œuvre ? Forcément, les deux personnages principaux m'ont beaucoup plu, je trouve qu'ils sont complémentaires et qu'ils vont bien ensemble, et que leur relation se tisse d'une manière très organique, même si (attention spwalère)


le coup du mariage pour les mettre ensemble m'a paru légèrement capillotracté. J'ai eu l'impression que l'autrice n'attendait qu'une chose : la ! première ! scène ! de sexe ! et vu l'époque et les moeurs, il fallait qu'ils soient mariés pour ça. Cependant, je ne suis pas 100% contre ce retournement, j'ai trouvé ça frais, intéressant et pas mal foutu, dans le sens où leur relation continue à se tisser par-delà de ce mariage forcé (pas de "oh tiens amour fou soudain car on est mariés alors qu'on se connaît depuis un mois", même si on sent bien qu'ils sont love kheur kheur bébé déjà). Et oui, le mariage forcé ça me chiffonne un peu.


Bref, j'aime leur compagnonnage, leurs blagues, leurs disputes, je les trouve très attachants.
Maintenant d'un point de vue scénaristique, j'ai trouvé ce premier tome très dense, je pensais à un moment être arrivée près de la fin, mais en fait je n'étais qu'à la moitié ! (un truc avec ma liseuse un peu compliqué à expliquer) Il se passe énooormément de choses, ce n'est pas pour me déplaire, au moins ça ne manque pas de rythme ! En revanche, je trouve que parfois ça essouffle un peu la lecture – dans le sens où j'étais presque fatiguée pour Claire et Jamie ! – et qu'on passe du coup à côté de certains développements psychologiques qui auraient mérité d'être approfondis.



Ce que j'ai moins aimé, voire pas du tout hey hey



Du coup (reine de la transition), j'aurais aimé avoir plus de détails sur l'état psychologique de Claire, je ne sais pas si c'est parce que j'ai lu de manière effrénée ou si c'est vraiment le style qui rend ça, mais je suis surprise moi-même d'être beaucoup plus en empathie avec Jamie ou même avec Old Alec qu'avec Claire à certains moments. Elle narre, on a donc un certain aperçu de ses émotions, mais pas d'une manière aussi percutante et touchante que quand les autres personnages parlent de leurs propres émotions. C'est assez rare pour être souligné ! Cependant c'est loin d'être la chose la plus grave selon moi dans ce premier tome d'Outlander.
Ca passe en spoiler, mais attention TW viol, violence conjugale, violence physique.


Regard moral sur le sexisme, la culture du viol, et les violences en général
Evidemment, vous allez me dire : les Highlands en 1750 et des, c'était pas la rose, déjà que ça l'est pas aujourd'hui donc hein, pouët pouët. Sauf que non. Je suis bien d'accord que toute fiction historique, si elle se veut un peu fidèle, prendra des proportions qui ne plaisent pas à mon féminisme. Mais dans toute oeuvre de fiction, l'auteur-trice se doit d'apporter un regard critique, d'une manière ou d'une autre, sur les choses qu'iel condamne.
Exemple : dans The Office UK, le personnage de Tim (joué par Martin Freeman) sert clairement de caution morale (et pas dans le mauvais sens du terme) pour tempérer les choses aberrantes qui se passent, notamment le comportement sexiste, raciste, homophobe de David Brent (Ricky Gervais). C'est pour ça que même si la série est hautement malaisante, j'ai pu la regarder en riant : j'ai deviné derrière le regard effaré de Tim un jugement moral sur les comportements de David Brent que je condamne dans la réalité.
Et c'est ce qui m'a extrêmement gênée dans ce premier tome : j'ai trouvé à certains moments le regard critique de l'autrice, que ce soit dans des répliques de Claire, ou au tout début quand Dougal dit qu'il ne cautionne pas le viol en gros (désolée pour mes citations, j'ai lu en VO sur ma liseuse, ce ne sera jamais accurate). Et pourtant, à des moments un peu plus cruciaux, rien de tel.
J'ai été particulièrement frappée par deux moments dans le livre :
- La scène de violence conjugale entre Jamie et Claire
- La narration des châtiments corporels subis par Jamie dans son enfance
- Mais aussi plusieurs scènes de viol qui m'ont mise vraiment mal à l'aise dans leur traitement


A propos de la scène de violence conjugale, ce qui m'a mise en position gênante, c'est le discours "j'ai dû te battre pour que tu comprennes dans quel danger tu t'es/nous a mis", qui pourrait être compris si Claire ne finissait pas par dire "oui, je comprends" (même si elle n'est toujours pas en position d'acceptation), et encore ! Jamie lui dit clairement qu'il a aimé lui faire du mal ! Alors d'un côté on a une Claire très défiante, très tête de mule, qui ne se laisse pas faire... jusqu'à ce qu'il la frappe quand même, et de l'autre on a un Jamie qu'on a appris à aimer, à qui on s'est attaché, qui reconnaît clairement avoir aimé battre sa femme. Le fait qu'on n'en reparle quasiment jamais, que Claire lui pardonne si rapidement, ne m'a pas permis d'être sereine à la lecture, même si j'ai été un peu rassurée par la promesse que Claire force Jamie à faire ensuite, à savoir "tu ne me battras plus jamais sale petit nul". En plus, la manière dont le reste du groupe traite ça, en se permettant de toucher le corps meurtri de Claire, m'a profondément dégoûtée, et elle, elle semble plutôt bien le prendre, et ça m'a énervée.


De la même manière, lorsque Jaime raconte les nombreuses fois où son père l'a battu dans son enfance, j'ai retrouvé le discours de base des personnes qui corroborent la violence contre les enfants : "il m'aimait, c'était pour mon bien, je l'avais mérité, il était sévère mais juste". Il est clair que ma conviction personnelle est à des années-lumières de ça, je trouve que battre son enfant, et même lui donner une gifle ou une fessée, n'est pas correct, mais à part un petit "Mon oncle n'aurait jamais fait ça" horrifié de Claire, tout de suite annulé par Jamie lui disant "ah c'est pour ça que tu as un caractère de merde" (comme si lui était un ange grâce à tous les coups reçus), il n'y a rien pour avoir un regard négatif sur ces châtiments corporels, et ça m'a laissée avec un goût amer. Au moment où je me suis rendu compte que les arguments de Jamie pouvaient être perçus comme rationnels et compréhensibles, je me suis dit qu'il y avait un gros problème avec sa rhétorique et la manière dont elle était traitée par l'autrice à travers la narration.


Et alors, les scènes de viol conjugal qui passent comme une lettre à la poste, c'est non ! C'est tellement non ! Parce que OK, Claire a une vie sexuelle dont elle n'a pas honte, et ça fait super plaisir, et j'ai bien aimé aussi tout le passage où c'est elle qui est plus expérimentée que Jamie, et qu'en gros elle n'ait pas honte de ses appétits. Mais non, que ce soit en 1750 ou en 1945, on ne laisse pas des scènes de viol conjugal se répéter comme des scènes de sexe romantique à l'envi ! J'ai eu envie de hurler quand Claire a dit quelque chose du genre "mais Jamie n'est pas un homme à qui on peut dire non". Je SAIS que l'intimité dans un couple c'est quelque chose de très complexe, un équilibre précaire, les consentements ne sont pas toujours verbaux ni évidents, le désir va et vient, mais ça c'est juste pas possible de dire des trucs pareils. C'est juste pas possible, parce qu'au départ on a une première scène de sexe très douce, très belle, qui change et qui est bien faite, un homme qui hésite mais qui veut bien faire (même si toujours, être obligé-e de consommer son mariage c'est extra bof, heureusement qu'on savait depuis des lustres qu'il y avait du désir entre eux deux), qui dit même "si tu n'avais pas voulu, on n'aurait pas fait, et basta : je préfère être humilié que te forcer". Mais ils sont mariés, ils ont kiffé plusieurs fois, ils baisent régulièrement, donc c'est OK pour Jamie de forcer sa femme régulièrement, et en plus elle en redemande ? Bof bof bof.
Voilà, c'est à peu près fini pour le spoil. Mais pas pour le râlage !


Donc voilà, comme je le disais, je suis globalement hyper perplexée par le regard moral de l'autrice à travers la narration dans ce roman : des fois les points de vue sont clairs, des fois des choses qui devraient clairement être condamnées ne le sont pas, ou pas assez, et ça me chiffonne énormément. C'est pour ça que même si j'ai adoré la lecture et que j'ai grave hâte de connaître la suite, je ne peux pas dire que c'est un coup de coeur, ni donner 10/10.


Passons rapidement sur le reste : les scènes de sexe sont traditionnelles (zizi-pénétration-orgasme qui fait trembler les murs, allez un petit cunni pour faire plaisir aux foules mais c'est tout) mais bien écrites, cela dit beaucoup sont gratuites, ce qui m'a poussée à appeler ce genre, que je viens de découvrir, du "érotico-historique". En soi ça ne me déplaît pas, mais clairement il y a beaucoup de sexe, pas forcément utile, pas mal écrit, mais bon voilà quoi.


Et enfin, la fin du tome a bien synthétisé cette espèce de malaise que j'ai ressenti parfois à la lecture, je l'ai trouvée un peu WTF, mais comme je le disais ça ne m'empêchera pas de lire la suite, au contraire. Donc bon. Mon avis vaut ce qu'il vaut, comme dirait l'autre.

PaulineBurel
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le 25 juin 2016

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Pauline Burel

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