Le chat noir, court récit, a été efficace sur moi, pour le reste ce fut plus inégal.
C'est une des rares introductions de livres qui m'ait laissée mal, de façon quasi physique, à en éprouver un peu la nausée sans savoir pourquoi les phrases m'ont plongée dans le récit comme si j'y regardais le film à la gauche des protagonistes : j'ai partagé les sentiments du chat, sa terreur, son amour et sa tragédie.
Il me vient peut-être dans l'idée que l'animal est une victime plus dérangeante, à cause de la naïveté que je m'en fais.
Puis, c'est cette notion de malin, de bouillie fadasse de chair, sorte d'excroissance derrière le dosseret d'un lit à l'apparence accueillante, emplâtrée à côté de notre tête quand on est au repos. Pour ceux qui connaissent Junji Ito, j'imagine "Le journal des chats" peut-être repéché du "Chat Noir" lui-même (qui sait), c'est ce procédé d"uncanny valley" : entre la normalité et l'horreur, la véritable terreur de l'entre-deux, qu'on ne peut cerner, expliquer, comme si le malin vivait dans une part fraîche de toute chose en vie -ou qui semble l'être
Il y a des ouvrages qui me sont totalement hermétiques, d'autres, comme le chat noir, qui me resteront. L'horreur, dans la littérature, j'ai l'impression d'un art plus délicat qu'au cinéma : pas de visuels sanguinolents à vous plaquer sur la rétine, il faut jouer sur l'imagination, et surtout sur la construction des phrases sans que jamais le lecteur ne ressente le procédé sous la syntaxe : aucune autre image que celle qu'on vous décrit. C'est avec les mots, les scènes, la montée graduelle du malaise, qu'Edgar Allan Poe arrive à distiller cette notion de perversité toute humaine. Tout humain. L'homme est pervers, point. L'homme se complaît à aimer la violence, les fantasmes inavouables. Soudain, on cerne l'idée que le passage à l'acte fait basculer l'homme silencieux, semblable à tout homme, vers le pervers, l'individu mauvais, le malade. Juste, en franchissant cette ligne. Comme on dit, il y a ce qu'on laisse voir de soi : et puis, il y a ce que l'on est vraiment.
Dieu que c'est bien narré, que j'aimerais oublier cette nouvelle pour avoir le plaisir (et l'effroi) de la lire de nouveau. Dieu, s'il existe, qu'il remercie Poe de là où il est.