Ce n’est pas être trop difficile, je crois, de demander à la littérature de mettre la lumière sur les mots (et à la musique sur le son, à la photographie et à la peinture sur l’image, au cinéma sur le mouvement, etc.). Les mots : la façon dont on les choisit, dont on les agence, et ce que ce choix et cet agencement disent du monde tel que l’auteur le voit et le montre.
Le Chat qui tombe et autres histoires noires ne démentent certes pas cette définition de la littérature. Aucun doute là-dessus : René Frégni est un écrivain, pas un producteur de texte ni un phraseur. Seulement, cent cinquante pages plus tard, son monde est pauvre.
Pas au sens où les personnages qui peuplent ses nouvelles seraient financièrement, intellectuellement ou affectivement pauvres. C’est le cas de certains mais ce ne serait pas un problème, si l’univers dans lequel ils évoluent comportait un peu plus d’ambiguïtés, de non-dits et – c’est étrange à dire – de danger. Or, dans l’univers univoque de René Frégni, les chats de la prison des Baumettes « sont, le soir, comme les âmes blanches, rousses, noires ou grises de ces hommes qui ont attendu la fin dans ce quartier maudit de la prison » (p. 16).
Le « quartier maudit » en question, c’est celui des condamnés à mort. Et est-ce que par hasard il n’y avait rien de plus pertinent (1), pour dénoncer l’absurdité et l’inhumanité de la peine de mort, que de comparer les « âmes » des morts à des chats ? D’accord, je connais un cinéaste qui a pensé dire toute l’abjection de la Shoah en montrant une fillette en manteau rouge – la remarque vaut pour lui aussi.
Pour le dire autrement : c’est très triste, cette première nouvelle sur la vie et la mort d’un chat. Je comprends qu’on puisse pleurer, comme j’ai pleuré quand Blanquette meurt à la fin de « la Chèvre de M. Seguin » et comme je continue à pleurer à chaque acte V de Cyrano. Mais ça ne suffit pas à faire un grand texte – ni même une bonne histoire.
Certaines nouvelles comportent leur part de trouvailles verbales : « Le silence était rose saumon » (dans « L’homme qui passe », p. 39) ou « Lentement la nuit referma son poing sur l’église » (dans « Vierge noire », p. 124-125). C’est heureux. Sans cela, le recueil aurait dégagé l’odeur mièvre de ces bons sentiments sirupeux que des lecteurs peu regardants prennent pour de l’humanisme.


(1) « Plus pertinent », c’est pour rester courtois.

Alcofribas
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le 8 janv. 2020

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