Dans tous les sens
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Le narrateur est un homme devenu chien : « l’apostat, le renégat, l’exclu du troupeau » (p. 141 et ailleurs). Le Chien Iodok est son journal de clandestinité. Au lecteur qui connaît Boulgakov, on laissera le soin d’établir des parallèles avec Cœur de chien.
À celui qui a flairé le roman russe vendu sous le manteau et écrit par un dissident – comprendre opposant – au communisme auquel il valut la Kolyma, on causera la déception (ou pas !) de lui apprendre que le Chien Iodok est écrit par un Italien, dont Aleksej Meshkov est selon toute vraisemblance un pseudonyme. Quant à celui qui redoute le réquisitoire lourdingue à force d’être transparent, le livre qui devait être un essai et qu’on aurait forcé à être un roman – c’est mon avis sur 1984, par exemple –, il peut être rassuré.
Il y a certes des procédés dictatoriaux dans le Chien Iodok. Mais il y a aussi un « Zoo », sorte d’organisation si tentaculaire et / ou si diffuse qu’on finit par se demander si elle est véritablement distincte de la société dans son ensemble. Il y a « La loi [qui] a produit le Zoo, car c’est la loi qui a produit le Zoo et non le Zoo qui a produit la loi. […] / La loi, incapable de prévoir les conséquences de la naissance du Zoo, sera totalement remplacée par cet organisme monstrueux. » (p. 140).
Il y a surtout quelque chose de kafkaïen, c’est-à-dire un propos qui dépasse l’évocation de quelque dictature que ce soit pour devenir existentiel : « Est-ce qu’on m’amènera dans un petit bois d’érable ou dans une baraque abandonnée au bord du fleuve, quand on voudra en finir avec moi ? Est-ce qu’ils savent que je me pose des questions ? Ou bien est-ce qu’ils ignorent encore qui je suis ? » (p. 156).
Iodok craint moins de mourir que de ne jamais avoir existé ; son drame, c’est la dépossession de soi, ante et post mortem. Qu’un livre qui ne fait au fond que remonter de vieux ressorts de la science-fiction en parvienne à un tel propos, c’est déjà une bonne surprise – qui occulte du reste la quasi-absence d’intrigue.
Et tout ceci n’exclut pas, à certains moments, une certaine poésie – forcément désabusée : « Jamais comme aujourd’hui la liberté n’a eu l’odeur de la vie humaine : l’odeur terrible et brûlante qui envahit les rues dégradées par la circulation, une sorte de frisson terrible qui soulève une poussière poétique et recouvre toute chose telle l’âme, lorsque l’amour poudroie dessus comme neige. » (p. 15-152) ou des formules qui restent dans la tête : « Les visages des enfants sont nus, comme l’est toute la jeunesse. » (p. 176).
Créée
le 23 mai 2019
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