Retour de lecture sur “Le chien jaune”, un très bon roman policier du belge Georges Simenon écrit et publié en 1931. Ce livre est ma première expérience de lecture avec cet auteur qui est pourtant le quatrième auteur en langue francophone, le plus traduit, et l’auteur de pas moins de 192 romans dont 75 Maigret, un monument de la littérature. Il raconte une enquête du fameux commissaire Maigret, que j’ai d'abord connu enfant à la fin des années 70, dans une série télé très soporifique, sous les traits du boute-en-train Jean Richard. Le personnage a ensuite été repris de manière beaucoup plus convaincante dans les années 90 par le non moins boute-en-train Bruno Cremer, mais accompagné souvent de guest stars et dirigé par des réalisateurs de haut niveau comme Denys de La Patellière ou Pierre Granier-Deferre. Pour revenir à ce roman, l’enquête se passe à Concarneau, Mostaguen, un notable de la ville est grièvement blessé d’un coup de révolver dans la nuit alors qu’il rentrait chez lui, après avoir quitté un groupe d’amis à l'hôtel-bar-restaurant “L'Hôtel de l'Amiral”. Le seul témoin du crime semble être un affreux chien jaune sorti de nulle part. Maigret est dépêché sur les lieux et commence son enquête dans cet hôtel où il aura affaire à une partie des principaux protagonistes de cette affaire, les amis de la victime, des notables comme lui, et la serveuse, la jeune Emma. Pour le côté roman policier, on a là une enquête plutôt de qualité, une intrigue complexe, crédible, avec un suspense efficace. On regrettera juste que tout n'est pas expliqué, et qu'il reste des zones d'ombre dans le cheminement de la pensée du commissaire. Mais le grand mérite de Simenon réside avant tout dans l’ambiance et dans la manière dont est décrite la vie quotidienne des gens dans cette ville de Bretagne, dans les années 30, sous une pluie sale et poisseuse. C’est une des grandes forces de l’écriture de Simenon, qui arrive à faire cela avec une grande économie de mots. Il réussit à faire de cette ville de Concarneau, un personnage à part entière de son roman. Dans cette atmosphère particulière se greffent ensuite des personnages très réalistes, que ce soient des petites gens souvent manipulés et exploités, ou ces notables de petite ville de province pour lesquels nous devinons vite la laideur qui se cache derrière leur façade bien-pensante. On notera dans ce roman un côté critique sociale qui, au même titre que cette petite ville de province, donne une coloration très Chabrolienne au roman, même si l'influence, s’il y en a une, s'est forcément faite dans l'autre sens. Le taiseux commissaire Maigret, avec sa personnalité atypique, nonchalante, s’intègre à merveille dans tout ça et ne fait surtout rien pour détendre cette ambiance lugubre et un brin oppressante. Comme l'inspecteur Lavardin chez Chabol, il ne cache pas son antipathie pour ces notables qu'il est obligé de côtoyer. Pour conclure, ce n’est pas le roman du siècle, mais la très belle démonstration du talent d’un écrivain, dans un livre très court, l’occasion de passer quelques jours dans le Concarneau des années 30…sous la pluie.
__________________________
"Il pleuvait. Les rues étaient pleines d’une boue noire. Le vent agitait des persiennes au premier étage. Maigret avait dîné dans la salle à manger, non loin de la table où le docteur s’était installé, funèbre.
A travers les petits carreaux verts, on devinait dehors des têtes curieuses, qui parfois se collaient aux vitres. La fille de salle fut une demi-heure absente, le temps de dîner à son tour. Mais elle reprit sa place habituelle à droite de la caisse, un coude sur celle-ci, une serviette à la main.
- Vous me donnerez une bouteille de bière dit Maigret."