Avant de critiquer le fond je tiens à mentionner que la version poche en français contient plusieurs fautes d'orthographe (au moins 3) ainsi qu'une erreur sur le tableau 4.6 p121 (les colonnes pour la Chine et le Japon ont vraisemblablement été inversées). Pour un bouquin qui a été publié il y a 20 ans ce n'est vraiment pas sérieux et cela fait forcément baisser la note. Pour le reste de la forme j'ajouterai qu'il s'agit d'un livre facile à livre (ce qui n'est pas rien pour de la socio !), sans termes trop techniques et bien traduit dans l'ensemble.
Pour ce qui est du fond maintenant vous aurez l'occasion de lire ici de nombreuses autres critiques qui, par idéologie, allégeance à d'autres courants de pensée ou simple engagement politique refusent le paradigme proposé par Huntington pour comprendre le monde géopolitique d'aujourd'hui. Faut-il rappeler ce qu'est un paradigme ? Eh bien c'est ce qu'il fait au début de l'ouvrage, se doutant sûrement qu'il aurait des lecteurs qui n'ont pas vraiment lu ou étudié la sociologie. En effet il présente son modèle comme un outil pour comprendre le monde et non comme une loi infuse, universelle et immuable. Et on ne peut retirer à Huntington que son outil est particulièrement efficace quand il l'essaie dans le contexte des Guerres de Yougoslavie, de la Guerre du Koweït et de l'Afghanistan (contre l'URSS mais on s'est bien rendu compte qu'il en était de même contre les États-Unis et leurs alliés). Par contre Huntington nous prédit avec ce même outil de lecture une réunion des deux Corées, un rapprochement intense des deux Chines et il n'en sera rien. Cependant les exemples où le modèle de Huntington n'est pas adapté sont plutôt rares et la grande majorité des conflits et tensions internationales d'aujourd'hui peuvent encore être interprétées comme des chocs de civilisations. J'en prends pour témoin les tensions actuelles sur l'Ukraine, le phénomène du terrorisme islamiste, la reprise des affrontements au Haut-Karabagh, l'islamisation de la Turquie, l'affirmation de la Chine sur la scène internationale et surtout le rapprochement de nombreux pays selon leurs affinités civilisationnelles et non politiques.
En somme nier l'efficacité de cet outil pour lire le monde qui nous entoure c'est fermer les yeux sur des réalités qui en Occident semblent avoir moins d'importance. En effet même si cela est en train de changer de nombreux occidentaux n'ont toujours pas conscience qu'ils forment une civilisation, un groupe culturel particulier et pas universel, et que ses valeurs comme l'individualisme, la démocratie, etc. ne sont pas forcément partagées par les autres cultures. Et du fait qu'on est au milieu de cette culture on va parfois jusqu'à penser qu'elle n'existe pas (cf E. Macron : "il n'y a pas de culture Française, il y a une culture en France"), ce qui revient à dire que nous n'avons pas de bouche quand en réalité elle est trop proche de nos yeux pour être dans leur champ de vision. Voici un bel exemple d'ethnocentrisme, et voilà pourquoi j'ai dit que ceux qui rejettent en bloc le paradigme d'Huntington ont des notions sociologiques faibles au mieux car faire preuve d'une analyse la moins ethnocentrée possible (ne pas être ethnocentré du tout est, selon moi, impossible) est à la base de la sociologie, de l'anthropologie et tout ce qui s'y apparente. Ce biais qui les mène à penser que leurs valeurs sont universelles les mène à nier en bloc une lecture civilisationnelle au profit d'autres lectures (luttes des classes, lutte des ressources, etc.) qui ne sont pas plus critiquables que celle d'Huntington mais ne le sont pas moins non plus selon le contexte !
Huntington nous apporte donc un outil de lecture du monde et tout comme on n'utilise pas un marteau pour enfoncer des vis comme on l'utilise pour planter des clous ce dernier n'a pas la prétention d'être universel mais, pour donner mon opinion profonde sur ce modèle je dirais qu'il me semble être le paradigme prédominant pour décrire les relations internationales de ce début de siècle. Pour reprendre l'analogie du marteau on pourra enfoncer des vis avec en forçant un peu alors qu'il sera bien plus ardu de planter des clous avec un cruciforme.