Lâcheté et mensonges
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L’un des plus beaux plaisirs pour un lecteur, l’un des plus primitifs, l’un des plus innocents – ou sincères, en tous cas – c’est celui d’être surpris par un livre. Et quand on parle de « littérature de genre », comme le polar / thriller, très codifié, trop ressassé aussi pour son bien, la surprise est encore plus rare, ce qui la rend encore plus impactante… Tout ça pour dire que la première, et la plus grande qualité de ce Code Twyford, de l’écrivaine anglaise Janice Hallett, qui a atteint une certaine popularité en son pays avec son premier roman, The Appeal, mais reste une quasi inconnue chez nous, c’est de nous SURPRENDRE. De nous faire dire après quelques dizaines de pages : « Bah tiens, je n’ai jamais lu de polar comme celui-là ! ».
Il convient donc, encore moins que pour n’importe quel polar, de ne rien dévoiler du sujet du Code Twyford, ce livre incroyablement retors qui nous emmène très loin de ce que nous avions pris pour sa destination en en attaquant les premières pages. Alors, ces premières pages, on peut en parler sans crainte de spoiler : ce qu’on lit, c’est la retranscription écrite, effectuée par un logiciel, de fichiers audio trouvés sur un téléphone portable qui ne contenait aucune autre information. Avec des erreurs – comme ce fameux « Il y avait » écrit « Yahvé », comme si on était dans l’Ancien Testament -, et avec – que c’est fascinant ! – ce gouffre qui existe forcément entre les paroles prononcées, les sons enregistrés, et la réalité de situations qui ne nous sont pas décrites par un narrateur : notre imagination travaille, remplit les vides, et notre esprit nous propose un flux constant de suppositions, le livre n’étant qu’une sorte de point de départ, rien de plus. A partir de quelques scènes primitives – la découverte d’un livre dans un bus, la lecture de ce livre en classe, puis un court voyage scolaire dont la conclusion semble avoir disparu des mémoires -, le Code Twyford nous lance sur la piste d’un univers d’hypothèses, parfois conspirationnistes, toujours paranoïaques, régulièrement absurdes, fantastiques, policières… qui prolifèrent au-delà de toute logique. Il arrive même, car le Code Twyford est un livre long (trop long ? Il faut arriver à sa conclusion pour former un avis pertinent…), que nous nous fatiguions en chemin devant certaines scènes qui nous semblent délirantes, incohérentes, ou en tout cas choquant notre raison.
Mais peu à peu, un autre récit se dégage, presqu’en filigrane, et prend de l’importance, et finit par dépasser, engloutir la fiction initiale : nous sommes devant un autre livre que celui que nous pensions lire. Et puis, au bout du compte, nous découvrons que nous avons été manœuvrés depuis le début par l’intelligence machiavélique de Janice Hallett : le message n’était pas dans le livre, il était LE LIVRE. On referme le Code Twyford totalement bluffé par un concept aussi original. Et ravis d’avoir été ainsi roulés dans la farine. Peut-être un peu frustrés par la gratuité de ce qui est aussi une sorte d’exercice de style, doublé d’un spectacle magistral de prestidigitation. Mais, que l’on soit convaincu ou non par le tour de passe-passe que constitue le Code Twyford, on a aussi la furieuse envie de le relire tout de suite pour en repérer les ficelles. Et ça, c’est quand même un signe que Hallett a réussi son coup, non ?
[Critique écrite en 2022]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/09/04/le-code-twyford-de-janice-hallett-la-prestidigitatrice/
Créée
le 4 sept. 2022
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