"Les morts ont donc bien tort de revenir ?"

Le Colonel Chabert, littéralement déterré après la bataille d'Eylau, fait face aux ravages de l'oubli, de la mort et de la disparition. Que reste-t-il quand nous ne sommes plus là ? Qu'en est-il de l'existence de celui qui est officiellement défunt, bien que toujours en vie ? Il en fait la triste expérience qui ne fait qu'en définitive le tuer un peu plus, meurtre social que parachèvera la justice, impuissante, comme le dit Derville, rappelant l'indicible désastre humain, duquel le romancier est toujours en deçà.


Ce héros de la guerre devenu inconnu n'a plus d'existence en propre : l'existence n'est que sociale, et celui qui perd son identité n'existe plus. Chabert en fait les frais et finit lui-même par accepter ce sort injuste, ne se définissant plus que par un numéro. L'homme soumis à la justice n'est plus qu'un être social, et la justice étant impuissante, Chabert ne sera jamais réhabilité. Et surtout, son véritable malheur sera d'être accablé par "le dégoût de l'humanité". La cruauté de son épouse, qui représente la bourgeoisie parisienne feignant et jouant "comme une actrice", se donnant un "air", le répugne. Il découvre que sa mort n'était en réalité pas accablante et qu'on se passait bien de lui. Le contraste est très fort entre l'image profondément humaine et sincère de Derville et Chabert et celle de son ancienne épouse. Balzac dévoile ce qui fait du malheur "une espèce de talisman, dont la vertu consiste à corroborer notre constitution primitive: il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent". Cela est limpide aux yeux du lecteur, qui est pris d'une grande compassion pour le colonel, bon par nature, et écrasé dans une société qui ne lui laisse aucune trêve, qui mène contre lui une guerre.


"J'ai été enterré sous des morts, mais maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre !" dit-il.

evilwa
8
Écrit par

Créée

le 6 juin 2019

Critique lue 1.1K fois

2 j'aime

3 commentaires

evilwa

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

2
3

D'autres avis sur Le Colonel Chabert

Le Colonel Chabert
RangDar
8

Ressurgi du passé

Excusez ce potentiel manque de culture littéraire, mais je n'avais jamais eu l'occasion de lire de Balzac avant ma lecture récente du Colonel Chabert ; bien sûr je connaissais l'individu, j'avais...

le 7 févr. 2023

19 j'aime

16

Le Colonel Chabert
JeanG55
9

Le Colonel Chabert

Quand quelqu'un me demande par quel "Balzac" commencer, je propose toujours "Le Colonel Chabert" car le roman est assez court, intrigant et palpitant. Il initie aux "fameuses" descriptions qui font...

le 8 juin 2022

13 j'aime

25

Le Colonel Chabert
Alcofribas
8

Rentrer sous terre

Qu’on soit gêné par les nombreuses notions juridiques convoquées par le Colonel Chabert, soit ; mais aux lecteurs qui le trouvent trop descriptif, je conseille vivement soit d’arrêter de lire des...

le 29 déc. 2016

8 j'aime

Du même critique

Histoire de l'œil
evilwa
9

"Les yeux humains ne supportent ni le soleil, ni le coït, ni le cadavre, ni l'obscurité"

A d’autres l’univers paraît honnête. Il semble honnête aux honnêtes gens parce qu’ils ont des yeux châtrés. C’est pourquoi ils craignent l’obscénité. Ils n’éprouvent aucune angoisse s’ils entendent...

le 23 févr. 2020

4 j'aime

Le Colonel Chabert
evilwa
8

"Les morts ont donc bien tort de revenir ?"

Le Colonel Chabert, littéralement déterré après la bataille d'Eylau, fait face aux ravages de l'oubli, de la mort et de la disparition. Que reste-t-il quand nous ne sommes plus là ? Qu'en est-il de...

le 6 juin 2019

2 j'aime

3

Retour à Reims
evilwa
9

Un très grand essai sur les déterminismes et la reproduction sociale.

J'ai entendu parler de Didier Eribon il n'y a pas si longtemps lors d'un cours de philo sur la sociologie holiste. Le prof nous a raconté l'histoire de Retour à Reims, et j'ai de suite fait...

le 10 juin 2019

2 j'aime