J'ai lu la version Folio Classique de 1974, qui regroupe Chabert avec trois autres nouvelles liées à l'époque napoléonienne ou la Révolution.

- Le colonel Chabert.

Une nouvelle de 120 pages, qui commence dans l'étude de Derville. Le colonel Chabert vient demander à intenter un procès contre sa femme, la Veuve Chabert devenue comtesse Ferraud, qui a récupéré son héritage car tout le monde le croit mort. Derville est ému, fait brillamment pression sur la comtesse pour trouver un arrangement, mais l'explosion du colonel met fin aux espoirs d'accord. La comtesse, cupide et intrigante, amène Chabert dans sa maison de campagne à Groslay. Elle tente de le manoeuvrer, mais il s'en rend compte quand elle demande à haute voix à son avoué si Chabert a bien signé. Ecoeuré, le colonel renonce à ses démarches et meurt sous le nom de Hyacinthe, à l'hospice. Derville le recroise peu avant sa mort.

C'est l'histoire d'un mort que la société voudrait oublier, image de cette Restauration affairiste où les nobles reviennent en masse et veulent gommer tout souvenir du petit caporal. Chabert est une sorte de Don Quichotte, de mort-vivant sans cesse menacé par la folie. Je retiens la très belle scène du début, dans l'étude de Derville, avec tous ces commis affairés, et la figure de l'avoué, à la fois humain et impuissant face à la cruauté des passions. Le personnage de la comtesse est un exemple de ces femmes diaboliques, à l'image de Valérie Marneffe dans "La cousine Bette". Ici, cependant, une légère sympathie pour cette femme égoïste et cynique, mais prise entre deux feux (elle doit cacher à son mari l'histoire de Chabert, pour ne pas donner à ce dernier une occasion de divorcer) est possible.

- El Verdugo.

En Espagne, à Menda, un jeune officier napoléonien, Victor Marchand, assiste à une fête donnée en son honneur par une grande famille noble espagnole. Il attire notamment le regard de la fille aînée, la gracieuse Clara. Mais la fête n'est qu'une diversion et le bataillon de Marchand est décimé par des partisans et un débarquement d'Anglais. Echappé de justesse grâce à Clara, Victor en réfère à son général, qui fait reprendre la ville. Le général donne une grâce inhumaine à la famille : le plus jeune fils, Juanito, âgé de huit ans, pourra seul survivre et perpétuer le nom s'il se fait le bourreau de toute sa famille. Il devient El Verdugo, "Le bourreau", à l'admiration de ses villageois.
Une courte nouvelle, dont le décor est plutôt vite posé, et qui fait la part belle aux situations et à l'action.

- "Adieu"

Deux amis, le gras marquis d'Albon, magistrat, et le colonel Philippe de Sucy, chassent dans le bois à l'ouest de l'Isle d'Adam. Perdus et bredouilles, ils arrivent aux Bonshommes, un prieuré en ruine, au sein duquel D'Albon semble apercevoir une femme qui fuit. Entrés par effraction et intrigués, les deux amis tombent sur une paysanne atteinte de crétinisme, Geneviève, et sur une femme-sauvage qui crie "Adieu" sans aucun signe d'intelligence humaine. De Sucy tombe à la renverse en la voyant. D'Albon tire en l'air, arrête une voiture et soigne De Sucy, qui lui raconte avoir reconnu en la jeune femme la marquise Stéphanie de Vandières, femme d'un général qu'il a sauvée au péril de sa vie lors de la retraite de la Bérézina. Ses derniers mots furent "Adieu", alors que Philippe la poussait sur le radeau où lui-même ne put prendre place. Après ce flashback, le dernier chapitre raconte les efforts douloureux de Philippe pour raviver la mémoire de Stéphanie. Désespéré, il tente de recréer sur sa terre les conditions de la Bérézina, fait endormir Stéphanie par son oncle Fanjat. Stéphanie retrouve brutalement la mémoire, mais meurt aussitôt. De Sucy retourne à Paris se noyer dans une vie de plaisir, et finit par se donner la mort.

"Adieu" est une nouvelle noire superbe de bout en bout. Depuis ce début assez onirique où l'on suit les deux amis à la porte d'une propriété intrigante au final d'une tristesse extrême, en passant par le long flashback sur la Bérézina, qui est d'une violence dont je ne trouve pas d'équivalent chez Balzac, tout dans cette nouvelle est une brillante réussite, à cent lieux du cliché du Balzac faisant des comptes d'épicier. Je me dis que cette nouvelle, illustrée par Tardi, ferait quelque chose de magnifique.

- "Le Réquisitionnaire".

Madame de Dey s'est réfugiée à Carentan, en Basse-Normandie, pour éviter les rigueurs de la Terreur. Elle est aimée de tous les officiers révolutionnaires du coin, qui font la cour à cette riche veuve de presque quarante ans. Mais celle-ci n'a d'yeux que pour son fils, qui, après une carrière militaire, s'est engagé aux côtés de Laroche-Jacquelin. Il envoie une lettre indiquant qu'arrêté, il va tenter de s'échapper, et donne trois dates possibles. Passé la troisième, il faut le considérer comme mort. La nouvelle raconte cette dernière soirée de Mme de Dey, qui doit donner le change auprès de ses invités soupçonneux. Un jeune homme arrive, mais c'est un réquisitionnaire de la Terreur. La comtesse meurt de chagrin, à l'instant précis où, dans le Morbihan, son fils est fusillé.
Toute l'intensité dramatique est concentrée sur Mme de Dey, le seul personnage qui ait droit à plus qu'une simple esquisse. C'est dommage, on aurait aimé un peu plus d'épaisseur pour le contexte.

Comme le fait remarquer l'introduction, de toutes ces nouvelles il ressort l'aversion de Balzac pour la guerre, la violence, la sauvagerie de l'Empire.
zardoz6704
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le 17 mars 2013

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