Émilienne Malfatto que l'on a découverte avec l'excellent Que sur toi se lamente le tigre, revient dans un roman très court, elliptique, très beau. D'ailleurs est-ce un roman, de la poésie, tant les deux se mélangent ? Chaque chapitre s'ouvre avec un texte en italique, les pensées du colonel, un poème en prose, dans lequel il s'adresse à ceux qu'il a torturés et qui à leur tour le torturent : le persécuteur persécuté. Souvent il aborde la guerre, la mort donnée en son nom et les honneurs liés :
"après la guerre après les Hommes-poissons les
marécages
il n'y avait que le silence
et les médailles les décorations accrochées sur
les poitrines que les âmes
avaient désertées
du clinquant du doré sur une poitrine vide
ça fait joli mais ça sonne creux" (p.59)
En peu de mots, Émilienne Malfatto brosse un portrait juste et dense, profond ; on sent les émotions, les peurs et angoisses du colonel, la folie qui s'empare du général. Cent-dix pages dans lesquelles l'homme change, la Ville et la Reconquête itou. Et l'on se prend à rêver d'un monde où les hommes cesseraient d'ambitionner le pouvoir à tout prix même celui de la guerre.
Très beau texte, original dans le fond et la forme. Une autrice qui excelle dans les romans courts et denses, qui cultive un style très personnel, tout ce que j'aime.