Histoire et obscurantisme à Palerme au XVIIIe s.
Sciascia m'intrigue, pour avoir assisté à un séminaire du médiéviste Henri Bresc qui le qualifiait de "plus grand écrivain italien du XXe s.".
Palerme, vers 1785. Le vice-roi Caraciollo, féru des Lumières et appuyé par les Bourbons, s'efforce de bousculer la noblesse féodale sicilienne, oisive et cynique. Mgr Airoldi, qui a trouvé un manuscrit arabe, demande à Don Giuseppe Vella, un chapelain hâbleur, de traduire ce qu'en dit un marchand arabe de passage. Il s'agit d'une simple vit de Mahomet, mais Vella traduit qu'il s'agit d'une histoire de la Sicile, et propose d'en réaliser la rédaction, afin de bénéficier d'une rente matérielle. A peine cultivé, il falsifie le manuscrit dans un sabir maltais et en distille des passages : il s'agirait du De consilio Siciliae racontant la conquête arabe, et il serait assorti d'un "Conseil d'Egypte". Très vite, les nobles le paie pour s'assurer qu'il est fait mention de leurs ancêtres, ce qui les garantit contre le paiement du nouvel impôt agraire que Caracciollo veut lever. Vella fleurit, malgré les sarcasmes de Gregorio, un prêtre lettré pas dupe. Mgr Airoldi finit par découvrir l'imposture, lorsque sur le "Conseil d'Egypte", il trouve le monogramme d'un fabricant de papier gênois. Vella disparaît dans l'opprobre.
Entretemps, Caracciollo a connu un successeurs falot, Francesco d'Aquino puis un autre foncièrement réactionnaire. Lorsqu'un médiéviste allemand, Hager, demande à voir le manuscrit, Vella prétend qu'il a été volé. Dès lors, le juge Simonetti enquête, et l'étau se resserre sur Vella. Dans le même temps, son ami, l'avocat libertin et homme éclairé Di Blasi, est arrêté pour avoir tenté un complot républicain. Le livre se clôt sur son exécution.
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Un roman qui se veut moins une reconstitution fidèle qu'un conte politique. Comme souvent, Sciascia s'attache avec brio aux mécanismes, aux procédures du pouvoir, pour montrer le cynisme de cette classe possédante attachée à ses privilèges absurdes, et occupée à coucher ou à déguster des sorbets. Un cynisme sensuel et indolent baigné de soleil.
Mais encore une fois, je sors du livre un peu perdu. Le personnage de Vella, grand falsificateur indigne, a quelque chose d'attachant, avec sa rouerie doublée d'ignorance crasse. Il y a parfois une certaine ambiguïté morale. Mais le nombre de seconds rôles est tel qu'il est parfois un peu dur de profiter de l'intrigue dans toute sa subtilité, tant il semble avoir de non-dit du côté des liens de parenté.
Peut-être que si je vais en Sicile un jour, je comprendrai mieux.